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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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s’oppose à mon alliance avec ce dernier…
    Il s’arrêta et d’un geste lui fit signe de se taire. Un bruit singulier poinçonnait le silence, un toc-toc régulier frappant la pierre.
    — Voilà votre jambe de bois ! s’exclama-t-il avec un large sourire.
    La porte s’ouvrit dans un grincement de gonds.
    — J’espère que je ne suis pas trop en retard, dit une voix fluette et éraillée.
    Delphine vit entrer un aveugle qui frôlait les murs de son bâton ferré. L’infirme titubait un peu, tanguant sur ses deux jambes, et s’arrêta juste en dessous du faisceau de lumière. Le soleil faisait luire le blanc de ses yeux et accentuait les rides de son visage. C’était une face mâchurée, mangée par le poil, où la bouche n’était qu’une longue balafre. Il était vêtu de haillons, le bonnet passé dans la ceinture, la chemise sale et tachée.
    — Je te présente, Mathusalem, dit Guillaume à Delphine, plus connu sous le nom de l’Orfèvre. Il nous fait le grand honneur de nous rencontrer de visu car d’habitude il ne consent qu’à des dialogues dans le noir, là où il conserve un avantage certain sur ses interlocuteurs.
    — Je suis heureux, dit l’infirme, que nous puissions parler sans nous cacher. J’attends cet instant depuis un certain temps.
    — L’Orfèvre… un aveugle ? murmura Delphine.
    — On s’y fait, dit le vieillard avec un sourire triste. À condition, comme ce brave Homère, de laisser regarder les yeux qui sont à l’intérieur du crâne, ceux qui aident à bâtir des histoires, à construire des épopées. Asseyons-nous, voulez-vous ? Nous avons à parler.
    Guillaume lui tendit le tabouret. Mathusalem s’en saisit, le glissa sous ses fesses. Il sentait encore l’alcool et le tabac et son corps paraissait d’une fragilité extrême. Sous ses habits râpés, on devinait les os et les jointures noueuses. À le bousculer, on risquait d’écrouler l’architecture branlante de son squelette.
    — Ainsi, dit-il, Sa Majesté Louis le Quatorzième s’inquiète de mes pouvoirs, de la menace que je fais peser sur sa gabelle ? C’est une douce revanche. À l’origine, j’étais écrivain, bibliophile, amoureux des lettres et des écritures, et puis des besoins d’argent m’ont conduit à jouer les faussaires, à trafiquer les placets, les lettres de cachet, les recommandations. Habile à reproduire, à percer les infimes détails qui donnent au faux la perfection. La justice du roi m’a brûlé les yeux et envoyé croupir dans les galères. Mais qu’importe, je ne suis pas venu pour vous parler de moi. Je suis venu pour vous proposer un marché.
    Des mouches bourdonnaient, buvaient sur son visage. Il les chassa d’une main longue et flasque. Un courant d’air glissait sous la porte qu’il avait mal refermée et faisait bouger sur la hampe de ses mollets maigres la toile de son pantalon.
    — J’ai eu du mal à comprendre, dit-il, comment le roi m’avait repéré, comment il était parvenu à me localiser. Et puis, par vos questions, Guillaume, par la lettre que Madame vous a fait passer et que j’ai bien évidemment lue, j’ai réalisé que c’était un autre que vous recherchiez. Ce « Jean Gallion ». Je n’ai cessé de vous protéger, persuadé que vous finiriez, un jour ou l’autre, par me conduire jusqu’à celui qui avait osé détourner mon organisation pour son profit personnel et attirer les foudres du roi sur moi. Il s’est trahi la première fois en chargeant trois forçats, Chibouk, Lassère et Fagotin, de vous éliminer sur La Merveilleuse . Mes hommes les ont neutralisés à temps. Mais je voulais être sûr. Je vous ai laissé venir jusqu’ici pour le provoquer. Il est mort et nous voilà, vous et moi, vengés.
    — Pourquoi en voulait-il à ces pauvres femmes ? demanda Delphine. Pourquoi les couvrir de sel ?
    L’aveugle sourit en tournant ses yeux vides vers la lumière.
    — L’histoire de Lot est une histoire terrible, l’une des plus abominables de l’Ancien Testament. Une ville livrée aux sodomites ! Le Seigneur y envoie deux anges pour punir les habitants. Lot leur offre l’hospitalité et voilà que la foule assiège la maison de Lot pour abuser des étrangers. Que fait Lot pour s’opposer à ces visées sodomites ? Il offre ses propres filles à la foule obscène : « Abusez d’elles mais laissez tranquilles mes invités ! » La foule refuse : ce sont les anges qu’elle veut ! Lot fuit avec sa

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