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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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l’Orfèvre. C’est la seule carte que nous pouvons encore abattre.
    Elle lui sourit et vint se serrer brusquement contre lui. Elle avait trouvé ce qui la taraudait. Fallait-il se confier ? Elle n’osa pas lui faire part de l’idée terrible qui venait de lui traverser la tête.
    C’était une idée folle, sans fondement, qui, peut-être, n’avait été inspirée que par sa haine et sa culpabilité : et si l’Orfèvre et M. de Montmor n’étaient qu’une seule et même personne ?

    4.
    L’aube était belle sur le port de Marseille ; elle sentait l’eau fraîche et l’oursin, le sel et le cheveu mouillé comme une fille qui sort du bain.
    Tout semblait aquarelle et parchemin. Le ciel au-dessus des collines avait été colorié à la hâte à la boîte à crayons et, fier de ses gribouillages, les exposait à un vent léger qui les frottait au chiffon. Les eaux du port tremblaient sous les copeaux des gommes. Des barques esquissées d’un trait de plume revenaient de lever des filets entre les îles blanches et croisaient des tartanes, encrées de rouge et noir, qui partaient pêcher le corail entre le cap Croisette et la calanque de Morgiou.
    Seules les files de galériens, enchaînés deux à deux, encadrés par les pertuisaniers, et que l’on voyait descendre ou remonter le quai, jetaient des touches tristes dans ce paysage. Les os saillants, les orbites profondes, la peau ravagée de plaies où bourdonnaient les mouches, ils traînaient leurs carcasses et leur mélancolie. Un tiers ne passerait pas l’année.
    Guillaume jeta un coup d’oeil rapide à Delphine qui marchait à son côté. Elle avait retenu ses cheveux en chignon avec des épingles et les avait emprisonnés sous un bonnet gris enfoncé bas sur la tête. Son paletot usé, le foulard groseille qui lui enserrait le cou, ses grosses chaussures à clous pouvaient peut-être faire illusion. Quand il avait évoqué la possibilité d’aller seul fouiller dans les archives du 5 e  bureau, elle avait failli lui enfoncer ses ongles dans les yeux.
    — Et votre promesse de ne plus jamais nous séparer !
    Il n’y avait pas trente-six façons de pénétrer à l’aube dans l’arsenal. Du moins Guillaume n’en connaissait qu’une dont les risques étaient limités. Il s’en était allé frapper à la porte du maître charpentier qui s’était montré si fier de la qualité des bois dont on faisait les galères.
    — Bonne nouvelle, l’ami ! L’Orfèvre t’accorde une remise pourvu que tu nous rendes un petit service !
    Et l’homme qui tous les matins s’en allait travailler avec ses apprentis à la fosse aux mâts du nouvel arsenal avait accepté de les prendre dans son équipe.
    Ils franchirent sans peine la porte du Grand Pavillon, la sentinelle étant bien plus regardante avec ceux qui voulaient quitter les bâtiments qu’avec ceux qui voulaient y pénétrer. Sur les chantiers on avait déjà rallumé les feux dont l’épaisse fumée commençait à monter en stries lourdes, s’effilochant dans l’air au-dessus du gris vert des ardoises. Des forçats étaient déjà à la tâche, nettoyant les allées à grands seaux d’eau et lessivant les murs. Une vingtaine d’hommes courbant l’échine, les vertèbres saillantes, les jambes enchaînées, puisaient l’eau des bassins en actionnant les pompes. Delphine, qui n’avait pas encore vu les galériens de si près, en était bouleversée et se demandait par quel miracle Guillaume avait pu survivre à tout ça.
    — Il faut toujours être du côté de l’Orfèvre, dit-il. C’est le conseil que m’avait donné le barberot dès le premier jour. Venez, la chance sourit aux audacieux.
    Ils quittèrent la troupe du maître charpentier et s’engagèrent sous les arcades qui abritaient les bureaux de l’administration. Il était encore trop tôt et la plupart des salles étaient fermées. C’était le cas de celle des archives. Guillaume actionna vainement la poignée.
    — Si près du but…, grommela-t-il.
    Delphine n’en menait pas large. De temps en temps, elle ne pouvait s’empêcher de jeter un oeil inquiet en direction des murs de la maison du roi.
    — Une épingle ! dit-il, soudain joyeux. Delphine, donnez-moi une épingle !
    L’aveugle y était l’autre soir arrivé, pourquoi n’en serait-il pas capable ? La jeune femme farfouilla sous son bonnet et lui donna ce qu’il avait demandé. Une mèche blonde coulait maintenant le long de son oreille. Autour

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