Les grandes dames de la Renaissance
avait des agents partout, fut rapidement instruite de ces tractations, et ce qui lui restait d’amour pour Louis lui fit chercher un moyen de séparer sans tarder les deux fiancés. Elle le trouva.
Charles VIII n’était pas encore sacré. Or Louis d’Orléans devait, en sa qualité de premier prince du sang et sous peine de déchéance, assister son cousin dans la cérémonie. C’est lui qui, selon l’usage, devait tenir la couronne au-dessus de la tête du jeune roi. Il n’y avait pas de meilleur prétexte pour le faire revenir à Paris…
Anne annonça donc que le sacre allait avoir lieu et écrivit à Louis pour lui rappeler que sa présence était nécessaire.
Très ennuyé de devoir ainsi interrompre sa cour, le fiancé d’Anne de Bretagne quitta Nantes et se rendit à l’invitation de sa cousine.
Le couronnement eut lieu à Reims le 30 mai 1484. Le 5 juillet, Charles VIII faisait son entrée à Paris, ce qui donna lieu à des fêtes extraordinaires, auxquelles le frivole duc d’Orléans voulut assister. Et, au mois d’août, il n’était pas encore retourné à Nantes…
Anne de Beaujeu souriait, heureuse du tour qu’elle avait joué à Louis et ravie de l’avoir auprès d’elle…
S’il avait été moins orgueilleux et plus fin, Louis d’Orléans aurait pu, sans doute, obtenir de l’amour ce que ni ses intrigues ni son titre de premier prince du sang ne parvenaient à lui donner. Car c’était l’orgueil seul qui l’empêchait de répondre aux avances de sa cousine. « Il voulait, nous rapporte Brantôme, qu’elle dépendît de lui et non lui d’elle. »
Et il s’ingéniait à la mécontenter, pensant lui prouver ainsi qu’il ne la craignait point. Un jour qu’il jouait à la paume avec des dames de la Cour, nous dit Jean de Serre, « vint un coup de dispute dont il s’en fallait rapporter aux gens. L’on en vint demander à M me de Beaujeu. Ladite dame jugea contre M. d’Orléans. Luy, qui était haut à la main et se doutant d’où venait le jugement, commença à dire assez bas que quiconque l’avait condamné, si c’était un homme il avait menti, si c’était une femme, c’était une putain : ce qui étant rapporté à Madame, celle-ci la lui garda bonne sous un beau semblant… »
Oui, elle « la lui garda bonne ». Et, pour se venger de cet affront, elle décida d’empêcher le mariage breton « qui lui causait tant de déplaisir au cœur et tant de jalousie cuisante… ».
Mais, pour cela, il lui fallait lier Anne de Bretagne à un autre fiancé.
Un autre fiancé ? Lequel ?
La régente ne chercha pas longtemps.
« Et pourquoi pas le roi de France ? » pensa-t-elle.
Pendant qu’Anne de Beaujeu projetait de marier le jeune roi à la duchesse de Bretagne, une adorable petite fille de cinq ans jouait dans les jardins du château de Montrichard avec sa gouvernante, M me de Segré. Cette enfant était la fiancée de Charles VIII…
Elle s’appelait Marguerite d’Autriche ; elle était brune, avait des yeux bleu foncé et passait son temps à s’amuser avec de petits animaux qu’on avait apprivoisés et dressés pour elle. Le jeune roi, qui était âgé de quatorze ans, l’adorait. Il la nommait sa « très aimée femme » et tout le monde la considérait comme la « petite reine » de France, bien que le mariage – on s’en doute – n’eût point été consommé.
Marguerite était en France depuis deux ans. Son père, Maximilien d’Autriche, avait dû accorder sa main au dauphin de France en exécution d’une clause du traité d’Arras signé en 1482 avec Louis XI. Et elle était arrivée en litière, sur les genoux de sa nourrice, un soir de juin 1483, au milieu des acclamations du peuple. Charles, vêtu d’une robe de drap d’or, l’avait accueillie au pont d’Amboise. Puis Anne et Pierre de Beaujeu s’étaient approchés, accompagnés du protonotaire apostolique, délégué pour la circonstance, et de nombreux seigneurs. Aussitôt, les fiançailles avaient été célébrées, en plein air, sur la place publique décorée de tapisseries. Le protonotaire avait uni les mains des deux enfants et Monsieur le Dauphin avait baisé par deux fois Madame la Dauphine.
Le lendemain, dans la chapelle du château, les fiancés avaient reçu la bénédiction et s’étaient agenouillés pour prêter serment « comme on fait en mariage, c’est à savoir de non changer pour pire ni meilleur ». Après quoi,
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