Les grandes dames de la Renaissance
naissance à l’Étiquette.
Lorsque le roi était enfin vêtu, maquillé, poudré, couvert de bijoux et de bagues, les mignons s’exclamaient :
— Oh ! Majesté, que vous êtes belle !…
Car pour pouvoir continuer à jouer cet ignoble jeu, Henri III s’était affublé d’un titre qui permettait le féminin…
Et l’on disait : « Sa Majesté est ravissante, Sa Majesté est câline, Sa Majesté est tripoteuse… »
Cette appellation, employée jadis à la Cour des derniers Césars, fit ricaner les braves gens, et Ronsard exprima leurs sentiments en un sonnet dédié à son ami Binet :
Ne t’étonne pas, Binet, si maintenant tu vois
Notre France, qui fut autrefois couronnée
De mille lauriers verts, ores [199] abandonnée,
Ne servir que de fable aux peuples et aux rois.
On ne parle en la Cour que de Sa Majesté :
ELLE va, ELLE vient, ELLE est, ELLE a été :
N’est-ce faire tomber le royaume en quenouille ?
Mais il fallait que le roi eût également la possibilité de dire à ses mignons :
— Comme vous êtes gentilles, et charmantes…
Alors les éphèbes prirent les titres d’Altesses et d’Excellences…
Tous ces petits jeunes gens formaient une confrérie extrêmement fermée dans laquelle il était à peu près impossible d’entrer de sa propre initiative. Les intrigues étaient inefficaces, les parrains inutiles : le roi, seul, choisissait. Lorsqu’il avait le coup de foudre en voyant passer un seigneur, un page, un garde, il appelait deux mignons fortement musclés, qui se précipitaient sur la proie et la lui présentaient de belle façon… On avait quelquefois recours pour cela à un stratagème ; c’est ce que nous conte Agrippa d’Aubigné, à propos d’un jeune homme de sa connaissance qui devint mignon du roi : « Ce pauvre garçon, dit-il, avoit en horreur cette vilenie, et fut forcé la première fois, le roi lui faisant prendre un livre dans un coffre, duquel le Grand Prieur [200] et Camille [201] lui passèrent le couvercle sur les reins, et cela s’appeloit prendre le lièvre au collet… Tant y a que cet homme fut mis de force au métier… »
Éclectique, le roi ne posait pas ses regards concupiscents que sur des garçons de noble origine. Il lui arrivait de se pâmer devant un ouvrier venu au palais pour faire une réparation. C’est ainsi, par exemple, qu’un tapissier lui fit, un jour, une impression considérable. « Le voyant en haut de ses deux échelles pour racoûtrer des chandeliers de la salle, nous dit d’Aubigné, le roy devint si amoureux qu’il se mit à pleurer… [202] »
Les grands ont toujours des admirateurs imbéciles qui s’efforcent de leur ressembler « par les mauvais côtés ». Aussi y eut-il bientôt à Paris une multitude de jeunes snobs poudrés et fardés qui, singeant Henri III, se voulurent coquets, précieux, évaporés.
À la Cour, les choses allèrent plus loin. Désirant plaire au roi, les hommes délaissèrent les femmes et se livrèrent ostensiblement à la sodomie… La plupart y eurent d’ailleurs du mérite, car, étant normalement constitués, ils éprouvaient une grande répugnance pour ces plaisirs hétérodoxes. Ils surmontaient néanmoins leurs dégoûts, pensant ainsi être bien notés…
Pendant ce temps, les femmes, privées de soins, étaient obligées de se consoler entre elles, ainsi que nous le rapporte Sauval : « De même que les hommes avaient trouvé, dit-il, le moyen de se passer de femmes, les femmes trouvèrent le moyen de se passer d’hommes : et Paris regorgeait de femmes lesbiennes… »
Toutes les dames n’osaient point toutefois goûter les joies de la « fricarelle ». Les timides se contentaient d’user d’expédients, en rêvant au jour où les hommes redeviendraient normaux. Alors, des « instruments façonnés en forme de v…, mais qu’on a voulu appeler des Godemychys », nous dit Brantôme, connurent une telle vogue que leurs fabricants amassèrent des fortunes…
Bref, un désordre effarant régnait sur toute la France et, selon le mot d’un auteur, « le royaume piloté par un fou ressemblait à un bateau ivre ».
Weitere Kostenlose Bücher