Les grandes dames de la Renaissance
ravi, mais des occupations importantes l’empêchant, pour l’heure, de se rendre en Bretagne, il décida de se marier par procuration.
Une cérémonie assez burlesque eut lieu quelques semaines après, à Rennes [29] . On fit se coucher la duchesse Anne, et l’ambassadeur de l’empereur d’Autriche, Zolfgang de Polhain, s’approcha du lit en tenant de la main gauche la procuration de son maître ; puis, ayant dénudé sa jambe droite, il glissa celle-ci un instant sous les draps [30] …
Après quoi, il quitta fort sérieusement la chambre nuptiale, non sans avoir salué Anne qui pensa jusqu’au matin que la réputation des nuits de noces était très surfaite…
4
Six bourgeois assistent à une nuit de noces
Tout ce qui est au monde est concupiscence des yeux.
Pascal
Anne de Beaujeu n’avait rien fait pour empêcher cette union, car elle ne la croyait pas possible avant la fin des hostilités. Aussi fut-elle extrêmement surprise et fort désappointée en apprenant que l’astucieux Maximilien avait utilisé le « mariage par procuration ».
Cette surprise se mua en colère lorsque la régente apprit que l’Autrichien faisait signer par son ambassadeur des actes qui portaient la mention : « Maximilien et Anne, roi et reine des Romains, duc et duchesse de Bretagne [31] . »
Aussitôt, elle appela son mari.
— La France est encerclée, dit-elle. Il faut sans tarder faire annuler ce mariage. Et, pour parer définitivement à toute éventualité, nous allons unir Charles VIII à Anne de Bretagne…
— Mais le mariage a été béni par l’évêque de Rennes ! dit Pierre de Beaujeu.
— Sans doute, répondit Anne. Mais il a été conclu en violation du traité signé par François II, puisque Charles n’a pas été prévenu. En exhibant cet acte, nous pouvons donc faire annuler un mariage funeste pour la France.
Et, comme Anne de Beaujeu était une femme de tête, elle pensa qu’avant de faire valoir ses droits il fallait montrer sa force. Elle envoya donc une armée assiéger la ville de Rennes, où se trouvait la petite duchesse.
Puis elle appela son frère et le mit au courant de ses projets.
— Mais je suis déjà fiancé avec Marguerite d’Autriche, objecta Charles VIII.
— Il en va du salut de la France, répondit Anne de Beaujeu. Aussi, mon frère, allez-vous prendre le commandement d’une armée et partir pour Rennes.
Charles, un peu ennuyé, baissa la tête. Puis il se rendit à Amboise pour faire ses adieux à sa fiancée.
Celle-ci avait déjà été informée des intentions de la régente. Aussi se mit-elle à pleurer lorsque le roi l’embrassa et lui dit au revoir.
— Je sais bien, dit-elle, que vous allez en Bretagne pour épouser une autre femme !
Une « autre femme ». Cette expression eût pu faire sourire dans la bouche d’une enfant de onze ans. Pourtant Charles fut très ému.
— Je n’abandonnerai jamais celle que mon père m’a donnée pour épouse, dit-il. Et tant que vous vivrez, je n’en aurai point d’autre.
Il aurait pu ajouter que Louis XI s’était engagé, par serment, à faire célébrer leur mariage. Mais il jugea prudent de ne pas en parler. Et il partit pour Rennes à la tête de 40 000 hommes.
À la Toussaint de 1491, il était devant les murs de la ville où la petite duchesse, toute tremblante, n’escomptant plus l’appui de personne, attendait que le ciel décidât de son sort.
La pauvre n’avait que 14 000 hommes pour la défendre.
Aussi dut-elle bientôt se rendre à l’évidence : Charles VIII allait s’emparer d’elle. Or elle détestait les Français qui avaient fait mourir son père et à la pensée d’être un jour en face de ce jeune roi, qu’elle considérait comme son pire ennemi, elle pleurait de rage.
Son oncle, qui voyait sainement les choses, lui disait bien, dans l’espoir de l’amadouer, que Charles VIII avait l’intention de l’épouser, mais cela n’arrangeait rien, on s’en doute.
— Je suis déjà mariée, disait-elle.
— Oui… sans l’approbation du roi, donc votre mariage est nul.
Anne était très entêtée : elle ne voulait pas du roi de France, et un jour, à bout d’arguments, elle lança dans un mouvement de colère :
— D’ailleurs, s’il veut que je lui baille ma main, il faudrait au moins qu’il la demandât !…
Anne de Beaujeu avait des espions partout. On lui rapporta bientôt la réflexion de la duchesse et elle chercha un homme
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