Les guerriers fauves
Neptune, baisa l’une des amulettes qu’il portait au cou et poussa le bois du gouvernail, inclinant l’étrave vers la côte.
30
La pointe de l’Aiguillon était passée. L’esnèque remontait le fleuve. Autour d’eux d’immenses marécages, des pêcheries, des moulins, des écluses et des berges en pente douce où le vent se jouait, couchant les roseaux sous son souffle. Ils apercevaient au loin les murailles blanches d’une abbaye, les toits de joncs d’un village de pêcheurs, le clocher d’une église...
Au fur et à mesure de leur progression, tout s’apaisait. Ils entraient dans un autre monde où dominait le vert des hautes herbes et le jaune des iris. Des loutres plongeaient à leur approche et Tancrède se demanda s’il n’avait pas rêvé la fureur des éléments.
Pourtant, derrière eux, l’enfer s’était déchaîné. Des centaines de mouettes refluaient vers l’intérieur des terres. Des éclairs rayaient le ciel comme autant de coups de griffes.
Hugues avait rejoint le pilote près de l’étrave.
— Vous nous avez ramenés bien vite à la côte, cette fois !
Le Breton ne se retourna pas, il scrutait le fond et les rives.
— Ah, c’est vous, messire de Tarse ! Ma foi, oui, la belle va nous faire de ces colères dont elle a le secret. Elle est ombrageuse, savez ?
Hugues s’était habitué à cette façon qu’avait l’homme de s’approprier la mer et même si, parfois, cela le faisait sourire, cela lui donnait étrangement confiance dans ses qualités de marin. Un drôle d’homme, ce Breton qui avouait à qui voulait l’entendre qu’il n’avait jamais touché une femme à cause de la jalousie de sa maîtresse au parfum de sel et d’algues.
— Je vous crois, répondit Hugues tout en suivant des yeux le knörr qui venait d’entrer à l’abri de l’anse. Corato a réussi à passer.
Les yeux de Pique la Lune observèrent un instant le navire marchand.
— Il a cassé sa vergue ! fit-il avec une grimace. J’pen-sais pas qu’il y arriverait, il embarquait trop les vagues, mais y sait naviguer, ce Corato, c’est un bon marin. Oriental, mais bon marin !
— Pourquoi dites-vous cela ?
— Y a que les Bretons à savoir la mer ! affirma Pique la Lune.
Derrière le knörr, une flottille de barques de pêche et un paro étaient entrés dans l’embouchure de la Sèvre.
— Il me semble avoir déjà remarqué celui-là à Saint-Hélier, murmura Hugues pour lui-même.
— Que dites-vous ?
Hugues répéta. Le pilote fixa le navire à la coque vert d’eau. L’embarcation se confondait avec la végétation environnante.
— Non, je me souviens pas de l’avoir vu à Saint-Hélier, mais j’ai dormi pendant l’escale. Par contre, je suis sûr qu’il était à Barfleur...
— Barfleur, Saint-Hélier ? Drôle de coïncidence. Vous pensez qu’il nous suit ?
— Peut-être oui, peut-être non.
Le Breton continuait à examiner la ligne longue et fine du petit vaisseau.
— C’est sa couleur qui me plaît pas, vert d’eau, même les cordages et la voile, c’est pas une couleur honnête. Y veut pas qu’on le voie.
— Pourtant du vert...
— Croyez pas ça, messire. En mer, pâle comme ça, on le repère moins facilement, et sur les fleuves, regardez comme il se confond avec la végétation des rives.
— C’est vrai. Peut-être faut-il le signaler au stirman ?
— Je vais le faire. Et puis, avec ce qu’on transporte... Je me demande si Magnus s’en est aperçu, lui aussi.
Ils cherchèrent du regard le chef des guerriers fauves et virent qu’il avait quitté son banc de rame. Appuyé au plat-bord, il fixait le navire vert pâle.
— On dirait que oui. Cela pourrait être des pirates ?
— Oh, oui ! Faut pas croire, il y en a par ici, et des naufrageurs aussi... Des feux trompeurs en Bretagne et sur les côtes du côté de la Seudre. Moins que dans le golfe de Gascogne et en Méditerranée, mais quand même.
— C’est vrai que, surtout au large de l’Afrique, les attaques sont fréquentes, se souvint Hugues.
— Vous êtes allé jusque là-bas, messire ?
— Oui. J’ai même navigué avec Georges d’Antioche. Il faudra qu’un jour je vous raconte cela.
Les yeux de Pique la Lune brillaient.
— Oh, oui ! fit-il. Mais je peux vous poser une question ?
— Bien sûr.
— Comment ELLE est ? demanda Pique la Lune avec ferveur.
— E LLE ? La mer ?
— Oui. La mer intérieure, il paraît qu’elle
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