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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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Laurier. Des larmes sur les joues, le premier déclara :
    — Sir Wilfrid Laurier fut peut-être plus grand dans l’adversité que lorsqu’il était au pouvoir. Il a fait de la colonie du Canada une nation. Il n’y a pas de mots pour exprimer la perte que nous venons de subir.
    Après cela, Lemieux ne pouvait ménager ni les louanges ni les pleurs.
    — J’aime la France qui nous a donné la vie, déclama-t-il en citant les mots du grand homme, j’aime l’Angleterre qui nous a donné la liberté, mais le meilleur de mon cœur va {
    mon pays.
    A force de phrases emphatiques, les orateurs finirent par lasser l’auditoire assemblé dans le pavillon Howick. Le texte de la motion fut donné dans les deux langues. Il commençait ainsi : « Avec tristesse et amertume, la convention nationale
    du
    Parti
    libéral
    canadien
    enregistre
    le
    regret que lui cause l’irréparable perte.» Puis, de nombreux paragraphes suivaient. La finale parut un peu facile :
    «Il fut en effet le meilleur et le plus grand des Canadiens, et en toutes
    choses
    un
    chevalier
    sans
    peur
    et
    sans
    reproche. »
    Tout de suite après le vote unanime sur cette adresse destinée { la veuve, les travaux furent ajournés jusqu’{
    quatre heures.
    — Allez-vous manger avec nous ? demanda Lapointe, en levant sa lourde masse avec difficulté, après des heures d’immobilité studieuse.
    — Avez-vous vu ce qu’ils appellent un restaurant ?
    — Ce n’est pas le grand luxe, j’en conviens : nous avons demandé { un traiteur d’installer une cuisine, des chaises et des tables afin de servir mille repas par jour. Je suis sûr que tout le monde sera satisfait.
    — Je me rendrai tout de même en ville pour manger.
    Edouard arborait son sourire de marchand, ou de séducteur, pour se faire pardonner sa défection.
    — Nous commencerons tout { l’heure les travaux en comité sur notre programme, insista le député.
    — Je me passionne pour le choix du chef, ou celui du candidat dans Québec-Est, mais les longues discussions sur les points et les virgules, non merci.
    Sur ces mots, le jeune homme tourna les talons et quitta le pavillon Howick. Son compagnon le regarda avec un air sévère. Ce délégué préférait demeurer un diletante de la politique. Cela limiterait certainement sa trajectoire.

    *****
    Les membres les plus influents du Parti libéral et les financiers susceptibles de garnir la caisse électorale et, en conséquence, de dicter leurs volontés, logeaient dans le somptueux Château Laurier, inauguré en 1912 par le premier ministre dont il portait le nom. Les simples délégués comme Edouard Picard se trouvaient dispersés dans de petits hôtels et des pensions de famille de la ville, souvent au même endroit que le député du comté d’où ils venaient.
    Le marchand logeait dans un établissement modeste de la rue Daly, dans le quartier Côte-de-Sable.
    En sortant du parc Lansdowne, il put monter dans l’un des tramways spéciaux mis à la disposition des congressistes afin de parcourir facilement le trajet entre le lieu de rassemblement et le centre-ville. Tout au long de la rue Bank, il apprécia l’activité fébrile de ce bel après-midi. Un transfert dans une autre voiture lui permit de contempler au passage L’Université d’Ottawa. Le quartier Côte-de-Sable accueillait une proportion appréciable de Canadiens français. Ceux-ci luttaient encore pour la reconnaissance de leurs droits scolaires en Ontario.
    Edouard passa dans sa chambre le temps de se rafraîchir un peu, puis il se dirigea vers le marché By. A cette heure, la plupart des cultivateurs avaient regagné leur domicile, de même que leurs clients. Certains s’attardaient toutefois pour acheter des outils, des semences ou des vêtements de travail dans les commerces des environs. D’autres hantaient encore les restaurants, désireux de reporter à plus tard le moment de retourner à leur labeur.
    Le visiteur trouva une table située près d’une fenêtre, essaya son plus bel accent anglais avec le serveur pour se faire répondre en français :
    — Vous voulez dire une entrecôte saignante ?
    — . . Oui. Je vais boire. .
    — Du thé, du café ou une limonade. Nous avons même de l’eau pour les plus difficiles.
    — Du thé, soupira le client.
    Au Québec, la prohibition devait prendre fin bientôt, sans jamais avoir été sérieusement appliquée. L’Ontario, de son côté, demeurerait encore un long moment la plus
    « sèche » des provinces

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