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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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L’affluence dans la petite boîte métallique la força à serrer de plus près son compagnon. Ses yeux exprimèrent une excuse muette, pas très convaincue. Quelques minutes plus tard, épaule contre épaule, les mains posées sur le bastingage, ils regardaient la ville de Québec s’éloigner.
    — C’est vraiment beau, murmura-t-elle.
    Puis elle éclata de rire.
    — Je me répète. Je suis une petite Anglaise jamais sortie de son patelin, prête { s’enthousiasmer de tout.
    — Mais vous avez raison. Je fais cette expédition régulièrement, juste pour voir le Château Frontenac se découper sur le ciel.
    De la main, elle serra le pli de son coude, lui adressa un sourire un peu timide.
    — Et vous aussi, vous êtes très jolie.
    Elle détourna les yeux, secoua la tête. Ses cheveux captèrent les derniers rayons du soleil couchant.
    — Vous ne devriez pas dire cela.
    — C’est vrai, pourtant. Alors pourquoi ne pas le dire ?
    La jeune femme lâcha son bras, s’éloigna d’un pas. Elle revint après un moment, { l’instant où le traversier s’amarrait au quai de Lévis.
    — Cela fait si longtemps.
    — Votre mari s’est enrôlé au début de la guerre.
    — En 1915.

    — Et il a été tué en 1916. Vous avez connu quatre ans de veuvage, en réalité.
    Un instant, elle désira protester, parler de trois ans. À la fin, elle hocha la tête en signe d’assentiment, puis demanda :
    — Descendons-nous ?
    Des employés s’occupaient de placer la passerelle afin de permettre aux passagers de débarquer.
    — À moins que vous ne rêviez de voir les lumières de la ville depuis Lévis, je propose de rester sur ce beau navire et de rentrer sagement. Nous poumons même nous asseoir pour le voyage de retour.
    Une banquette courait près de la coursive. Ils demeurèrent silencieux un long moment, épaule contre épaule, tout au long du débarquement et de la manœuvre de départ.
    Bientôt, le bâtiment quitta le quai en laissant derrière lui un nuage de fumée grasse.
    — Au moment de votre rapatriement, questionna-t-elle, personne ne vous attendait ? Je veux dire une jeune femme.
    — . . Oui, une très jolie fille.
    — Et?
    — L’homme qu’elle attendait est resté en Flandres. Il en est revenu un autre à sa place. Celui-là ne pouvait pas vraiment lui plaire.
    Elle fixait ses grands yeux bruns sur lui, un peu inquiète.
    — Vous croyez que cela aurait été la même chose entre Gregory et moi ?
    — Aucun homme ne revient de la guerre sans être profondément changé. J’ignore cependant si vous vous seriez ajustés ou non.
    — Je me demande souvent comment les choses auraient tourné. Je passais mes journées à espérer son retour, et mes nuits { m’inquiéter de l’allure de nos retrouvailles.

    Mathieu comprit combien Françoise, pendant les longs mois d’attente après l’armistice, avait dû se poser les mêmes questions. Jane chercha sa main sur la banquette, la serra un moment de ses doigts tremblants. Une fois à quai, bras dessus, bras dessous, ils reprirent le funiculaire, parcoururent la terrasse Dufferin jusqu’au jardin des Gouverneurs.
    Dans la pension Sainte-Geneviève, depuis le petit hall, ils entendirent encore le fameux «It’s so charming». Tous les deux pouffèrent de rire en s’engageant dans l’escalier. Sur le palier de l’étage, Jane s’arrêta, fit mine de chercher sa clé dans son
    petit
    sac.
    Son
    compagnon
    se
    pencha
    pour
    l’embrasser. Elle esquissa d’abord un geste de recul, puis abandonna ses lèvres, et enfin toute sa bouche.
    En se redressant, il murmura :
    — Venez avec moi.
    — Je. . Cela ne se fait pas.
    Il lui présenta sa main. Elle la contempla un moment, posa finalement la sienne dans la paume ouverte. Tous les deux en avaient assez de leur solitude, mieux valait inaugurer leur nouvelle existence avec une personne qu’ils ne reverraient jamais.

    Chapitre 19

    Jusque-là, Mathieu avait acheté des services sexuels. Sauf de rares exceptions, tous les militaires en arrivaient à cet expédient. Malgré ces transactions un peu honteuses, en fait, le jeune vétéran possédait moins d’expérience que sa compagne.
    Pourtant, les gestes lui vinrent avec un naturel parfait.
    Quand la porte se ferma derrière eux, le jeune homme la pressa contre son corps, chercha sa bouche avec la sienne.
    Elle se raidit un moment, puis finalement, accepta la caresse des lèvres, la langue curieuse. Ses années de veuvage lui pesaient. . et ce garçon

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