Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
Vom Netzwerk:
comme je le suis ce soir, vous ne sauriez pas faire la différence entre un Allemand et moi.
    Quand il souleva le drap pour regarder sa poitrine, il ne découvrit aucune blessure. Bien au contraire, la peau blanche paraissait parfaite, la pointe des seins d’un rose soutenu. Il entreprit d’en parcourir toute la surface de ses lèvres.

    *****
    En plein jour, tous les deux retrouvaient le comportement emprunté, les gestes hésitants, la rougeur des joues de personnes intimidées par leurs propres désirs. Dimanche, Mathieu prit la valise de Jane dans le hall de la pension, il lui offrit son bras en disant :
    —Vous êtes certaine de préférer marcher? Il nous faudra au moins une demi-heure pour atteindre la gare.
    — Ce sera une promenade agréable.
    — Comme vous voulez.
    Un peu plus tard, ils descendaient la rue de la Fabrique.
    — Ce commerce appartient à ma mère, précisa Mathieu au passage.
    La confidence la toucha. Son compagnon lui avait abondamment parlé de son expérience sur les champs de bataille.
    Aux petites heures de la nuit, il avait même évoqué les visites au bordel de tous ces jeunes gens terrorisés { l’idée d’une mort prochaine.
    Dans
    toute
    autre
    circonstance,
    le
    récit
    aurait révolté cette femme pudique. Toutefois, pendant quelques heures, elle n’avait ressenti que de la sympathie pour les jeunes gens, et même pour les marchandes de plaisir.
    — Votre père ?
    — Il est mort en 1914. Maman a continué ensuite, afin de faire vivre la famille.
    — Une famille nombreuse ?
    — J’ai une sœur.
    Jusqu’{ l’escalier conduisant { la Basse-Ville, Mathieu évoqua son existence avant la guerre. La situation lui semblait étrange. Après une nuit torride, ils partageaient de petits moments de leur biographie, comme s’ils en étaient à leur première rencontre.
    Le couple entra dans la gare quand le train pour Montréal s’arrêtait près du quai dans un nuage de vapeur blanche.
    Son arrivée leur éviterait de longs adieux. Devant la porte du wagon, Jane offrit sa main. Mathieu la tint dans les siennes un long moment, comme avec une amie très chère.
    — Je suis très heureuse de vous avoir rencontré, murmura-t-elle. Cette. .
    Le mot « aventure » ne franchit pas ses lèvres.
    — Cette parenthèse ? suggéra son compagnon.
    — Cette parenthèse me permettra de regarder l’avenir de façon plus sereine.
    — Je suis aussi très heureux, pour la même raison.
    Le jeune homme se pencha pour l’embrasser. Elle détourna la tête pour offrir sa joue, à la place de ses lèvres.
    L’endroit fourmillait de voyageurs, il fallait retrouver la réserve normale entre un homme et une femme.
    — Je vous souhaite d’être heureux, lui glissa-t-elle à l’oreille en montant les trois marches qui conduisaient { la voiture. La guerre est terminée, il faut faire la paix.
    L’expression se trouvait dans tous les journaux, elle justifiait la recherche de plaisirs inédits, de nouvelles façons de vivre, de penser. Mathieu allongea le bras pour lui remettre la valise.
    — Je nous le souhaite à tous les deux, Jane.
    Sur ces mots, il tourna les talons. Quelques minutes plus tard, il gravissait la côte d’Abraham en sifflant. Il s’arrêta bientôt, surpris de sa propre gaieté.

    *****
    Avec la prochaine rentrée des classes, de nombreuses personnes se massaient devant les vitrines de la rue Saint-Joseph. Mathieu s’attarda lui aussi devant les étals les plus attirants. La perspective de rencontrer son cousin - ou plutôt son demi-frère - ne l’incitait pas { se presser.
    Un peu avant onze heures, il passa enfin la porte du grand magasin PICARD. Sa dernière visite en ces lieux datait de 1914, peu après la mort d’Alfred. Depuis, Thomas avait aussi quitté ce monde. Il s’arrêta dans quelques rayons avant de prendre l’ascenseur. Un gamin vêtu de rouge manipulait les commandes et annonçait à haute voix les marchandises offertes à chacun des étages.
    Au troisième, le badaud s’attarda plus que de raison dans le rayon des vêtements féminins, examina la marchandise d’un œil expert. Pour une commerçante comme sa mère, la difficulté consistait à offrir des produits un peu plus intéressants que ceux des grandes surfaces, à des prix raisonnables.
    Puis il emprunta le passage conduisant au vieux commerce, celui construit par Théodule en 1876. Dans l’antichambre du propriétaire et gérant, une jolie brunette leva les yeux sur lui.
    — Oh ! Monsieur

Weitere Kostenlose Bücher