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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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salon afin de converser. Elle leur accorda toute son attention.
    Elle s’appelait Jane. Mathieu marcha longuement avec elle sur la terrasse, lui montrant les points d’intérêt du panorama s’étalant devant eux. Quand l’orchestre commença à prendre
    place
    {
    l’étage
    du
    kiosque,
    le
    couple
    chercha un banc. Ils le trouvèrent assez loin, le dos aux musiciens. La distance leur permettait de continuer leur conversation sans devoir élever le ton.
    — Vous habitez une très jolie ville, avec ses vieux murs.
    Comme son compagnon ne se sentait aucune responsabilité particulière à cet égard, il se contenta de hocher la tête.
    — L’Europe doit ressembler un peu { cela ?
    — Un peu, à cause des constructions en pierre.
    — Avez-vous eu le temps de visiter ?
    Elle songeait aux longues descriptions contenues dans les lettres de son défunt mari. Il avait évoqué son désir de revoir un jour tous ces endroits avec elle.
    — Oui, surtout au moment de l’entraînement, dans la plaine de Salisbury.
    — Gregory a aussi été campé là pendant plusieurs semaines. Il me faisait des descriptions enthousiastes de la cathédrale. L’avez-vous fréquentée?
    — De nombreuses fois. Nous n’avions rien d’autre {
    faire lors des permissions.
    Elle hocha la tête, songeuse. Les cuivres résonnèrent un moment, les forçant au silence. Une accalmie de la musique lui permit de demander encore :
    — Vous avez vu Londres aussi, je suppose.
    — Oui, lors de mon séjour { l’hôpital. . Pendant la convalescence, bien sûr. Mais vous savez, une fois rendus sur les champs de bataille, nous ne pouvions pas jouer aux touristes. Nous ne quittions guère les zones de combat, même lors des rotations { l’arrière. Ces régions-là étaient totalement dévastées, elles offraient un spectacle désolant.
    Elle acquiesça de nouveau, convenant sans mal que pour voir du pays, la vie militaire se révélait décevante. La jeune femme s’entêta toutefois { relancer la conversation sur cet ailleurs, comme si venir à Québec ne suffisait pas à la rassasier de distances.
    — Après la fin des combats, êtes-vous resté longtemps de l’autre côté ?
    — Le rapatriement s’est fait très lentement, pour tous les soldats venus d’Amérique ou d’Australie.
    — Le manque de navires, sans doute. .
    — Dans une certaine mesure, oui. Mais surtout, comme vous le savez, le traité de Versailles n’est pas encore signé, malgré de nombreux mois de négociations. Les politiciens devaient craindre que les Allemands ne reprennent les armes. On nous gardait tout près, parés à intervenir.
    Les discussions de paix s’étiraient depuis l’automne précédent. Les conditions imposées { l’ennemi se révélaient si dures que même les Alliés comprenaient les réticences de celui-ci à les accepter.
    — Pourtant, ils ont agréé aux conditions de l’armistice, plaida la jeune femme, un peu inquiète de ces atermoiements.
    — Depuis, l’Allemagne a été la proie de divers mouvements révolutionnaires.
    Le
    nouveau
    gouvernement
    doit
    compter avec l’agitation populaire. Vu d’ici, cela semble toujours être l’anarchie.
    — Des gens ont été fusillés dans les rues, selon les journaux.
    Mathieu hocha la tête. La révolution bolchevique faisait des émules dans de nombreux pays d’Europe, entraînant une répression sanglante.
    Sa compagne évoqua encore les charmes du vieux continent, ou les convulsions politiques, pour meubler le silence.
    Une semaine à Québec ne lui avait pas apporté la sérénité recherchée. Le jeune homme entendait prolonger la soirée pour le même motif.
    — Cela vous tenterait de faire une croisière avec moi ?
    — Pardon ?
    — Une croisière, tout de suite. Cela nous changera de ces flonflons.
    Elle le dévisagea un moment, intriguée.
    — Nous pourrions prendre le traversier, et aller voir le point de vue depuis l’autre côté du fleuve. C’est magnifique, croyez-moi.
    — . . Il commence à se faire tard.
    — Ni vous ni moi ne travaillons demain matin.
    Il se leva, offrit à la fois son bras et son meilleur sourire.

    Finalement, ce grand Canadien français lui parut préférable au papotage dans le salon de la maison de chambre.
    Entendre encore « Ifs so charming» déclencherait une crise de nerfs chez elle.
    Le couple traversa la terrasse Dufferin sur toute sa longueur afin de rejoindre le funiculaire. Jane tenait son bras légèrement, sans trop appuyer.

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