Les héritiers
appuyer ses arguments. Amélie profita d’une accalmie de la conversation pour se retourner à demi et demander :
— Marie, Mathieu et Françoise ne sont plus. .
La jeune fille chercha le mot juste un instant, puis ne trouva rien de mieux que :
— Fiancés ?
— Leur relation n’a jamais eu un caractère officiel. Mais oui, je pense que c’est la meilleure façon de présenter les choses. Ils ne se fréquentent plus.
— Tu devrais faire preuve de discrétion à ce sujet, conseilla le père. On ne sait jamais. Si on leur laisse le temps de s’ajuster de nouveau l’un { l’autre, après cette longue absence, peut-être reviendront-ils à leurs sentiments anciens.
Amélie répondit d’un sourire, puis précisa :
— Le changement semble bien définitif. Je les ai entendus tout
{ l’heure. Ma sœur a déj{ un autre homme dans sa vie.
Cette fois, ce fut au tour de Marie d’essayer de réprimer un peu cet enthousiasme.
— Françoise a rencontré quelques fois un jeune employé avant le retour de mon fils. Cela ne va pas plus loin.
— Il est venu la relancer ce matin au magasin !
La marchande demeura un moment interdite, surprise de voir la jeune fille au courant de ces événements. Paul intervint avec autorité :
— Ce garçon ne m’a jamais été présenté. Il n’y a rien de sérieux entre eux !
Malgré ses propres accrocs à la morale, le député était bien soucieux du respect des convenances par ses propres enfants.
Cette habitude des jeunes gens de la ville de se rencontrer en dehors du foyer familial de la demoiselle lui paraissait bien dangereuse. Heureusement, son aînée demeurait bien sage, malgré cette situation un peu trouble. La cadette, plus audacieuse, resterait en liberté étroitement surveillée, pour éviter toute mauvaise surprise.
Amélie ne calma guère son inquiétude.
— Mathieu est très beau. J’aimerais qu’on se fréquente.
Dans un premier temps, Paul demeura muet de surprise, puis il répondit en élevant un peu la voix, au point d’amener le chauffeur de taxi à regarder dans son rétroviseur.
— Mais il est bien trop vieux pour toi !
— Voyons, il aura vingt-deux ans en juillet.
— Et toi dix-sept ! Tu es sortie du couvent vendredi dernier ! Lui arrive de la guerre.
Le constat tomba, lourd de sous-entendus. Après des années dans un pensionnat de religieuses cloîtrées, l’homme imaginait sa fille tout à fait ignorante des « choses de la vie ». De son côté, un vétéran rapportait avec lui un bagage d’expériences { l’effet délétère.
Amélie fixa son beau regard bleu sur son paternel, mordit sa lèvre inférieure. Très vite, des larmes roulèrent sur ses joues. Marie intervint pour prévenir l’ondée. En posant sa main sur l’avant-bras de la jeune fille, elle expliqua :
— Ton père veut dire que dans le cas de Mathieu, le calendrier habituel ne vaut plus rien. Si tu regardes les yeux de mon fils attentivement, tu constateras qu’{ certains égards, il paraît très âgé. Tu as certainement lu dans les journaux combien les hommes ont souffert là-bas. Tu es une magnifique jeune fille, vive, jolie, intelligente. Mais penses-tu pouvoir donner ce dont il a besoin à un homme profondément meurtri ?
— Françoise a dix-neuf ans et elle sort du couvent aussi.
Mais à vos yeux, elle faisait une fiancée parfaite.
La cadette des sœurs Dubuc se retourna vers l’avant, le visage buté. Au moins, sa colère chassait ses larmes.
Heureusement, car la voiture entrait déjà sur le terrain de l’exposition provinciale.
Chapitre 5
Pendant des années, les foires agricoles tout comme les cirques ambulants avaient planté leur chapiteau sur les plaines d’Abraham. Les bourgeois de la Grande Allée avaient protesté contre les odeurs de crottin et les bruits de foule de ces fêtes foraines, au point d’amener les autorités municipales à reléguer les manifestations de ce genre à la périphérie de la ville.
Les familles Dubuc et Picard descendirent sur une large plaine herbeuse située { l’angle des rues des Commissaires et de La Savane. De nombreuses constructions, certaines bien sommaires, les autres de pierre ou de brique, accueillaient des exposants ainsi que des manifestations culturelles ou sportives.
Pour la fête nationale, une forêt de mâts recevait des drapeaux nombreux. Si les Union Jack faisaient bonne figure, ceux du Vatican et les Carillon-Sacré-Cœur se révélaient de loin les plus nombreux. Des
Weitere Kostenlose Bücher