Les héritiers
dans la solitude. Si tu désires aller vivre chez ton père seulement pour t’éloigner de moi, ne te donne pas cette peine. Si tu aimes ce travail, reste à ton poste. Mon départ et le tien, en même temps, mettraient maman dans une situation difficile.
Depuis le début, Thalie essayait d’afficher l’indifférence de celle qui n’entendait rien. Toutefois, quand son frère évoqua son départ, elle se retourna vivement. L{, elle n’y tint plus :
— Comme je passerai l’été { Québec, maman ne serait pas si désemparée de vous perdre tous les deux. Cependant, Françoise, je serais très heureuse de te voir rester à la maison. Depuis l’épidémie, je te vois un peu comme ma sœur, ma jumelle même, puisque nous avons le même âge. Sur ces mots, elle passa un bras au-dessus de la banquette pour prendre les doigts de son amie. Celle-ci s’adressa { elle en disant :
— Mais je ne peux pas éjecter Mathieu de sa propre maison.
Marie ne le tolérerait pas. Si je ne pars pas, elle me chassera.
— Maman ne fera rien de cela. Le départ de Mathieu lui donnera un air bougon pendant deux jours, puis elle comprendra. Si elle demeure morose plus longtemps, ce sera à cause de la distance entre elle et son beau Paul, cet été. Elle ne te tiendra pas rigueur de nos absences.
Au moment de passer le pont Dorchester, le chauffeur de taxi tendait l’oreille afin de démêler toute cette histoire.
«Voilà une famille bien étrange », songeait-il en changeant les vitesses.
— Mathieu, murmura Françoise en regardant son compagnon dans les yeux, tu ne vas pas quitter ta famille pour aller vivre chez des étrangers.
— Mais tu fais exactement cela, et tu viens de nous dire y trouver du plaisir.
Le rose monta encore aux joues de la jeune femme.
Thalie prit sur elle d’expliquer :
— Tu sais, sortir de sous les jupes de maman présente de bons côtés. Je me suis fait des amies à Montréal, je suis contente de mon indépendance. Mathieu sera heureux de faire le point sur sa vie sans avoir tous nos regards posés sur lui.
Le jeune homme remercia sa sœur d’un regard. Elle ferait un bon médecin, elle venait de fournir un excellent traitement. Françoise demeura un peu songeuse, puis elle convint :
— Je veux bien le croire, nous nous trouverons tous mieux à la suite de cette décision. Cependant, Marie ne le verra sans doute pas de cet œil.
Son compagnon lui adressa un demi-sourire, puis expliqua :
— Je le sais bien. Comme au moment de mon enrôlement, je compte recruter son cher Paul pour aider à faire passer la pilule.
Son interlocutrice fit une pause, puis acquiesça d’un signe de la tête.
*****
Dans la seconde voiture, Amélie se retrouva assise à l’avant, près du chauffeur. Pendant de longues minutes, le couple { l’arrière évoqua les activités des prochaines semaines. Paul Dubuc revint sur un sujet déjà fréquemment abordé :
— Viendras-tu me rejoindre à Rivière-du-Loup au début juillet, comme convenu, pour tout le mois ?
Sa maîtresse n’avait rien convenu du tout. Elle opposa son argument habituel :
— Pendant les deux mois de la belle saison, je réalise le tiers de mon chiffre d’affaires annuel, peut-être plus. Je ne peux m’éloigner.
— Voyons, trois personnes très compétentes sont en mesure de prendre la relève : Mathieu, Thalie et Françoise.
Ce sont des adultes capables de tout faire fonctionner.
— L’un des enfants doit absolument m’accompagner, si je veux aller chez toi. Un veuf et une veuve dans la même maison, ce ne serait pas convenable !
Paul Dubuc prit la main de sa compagne.
— Nous ne serons pas seuls. Ma sœur Louise et Amélie habiteront là aussi.
— Ce n’est pas la même chose, tu le sais bien. Les électeurs, surtout dans les paroisses rurales, ne doivent pas avoir une morale bien élastique.
Le politicien éclata de rire, puis précisa :
— Du moment où je me présente pour le Parti libéral, je pourrais avoir autant de femmes que le Grand Turc, et je continuerais d’être élu sans opposition.
— Si tu fais trop jaser, le parti trouvera un autre candidat.
Une seule intervention en chaire de la part d’un curé soucieux des bonnes mœurs suffirait. Nous ne devons pas prendre ces choses à la légère. Les comportements de tous les Québécois sont scrutés à la loupe par une armée de censeurs.
La réplique ne découragea pas tout à fait le député. Les enfants de la dame viendraient certainement
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