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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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les murs.
    Le lendemain, je vis Ronald Clerkwood.
    Était-ce ma soirée ? Cette lucidité douloureuse qu’elle m’avait laissée, mais je le trouvais caricatural, cheveux coupés en brosse, franchise du regard, netteté des traits, politesse. Il était fade. Je m’étais déjà habituée à des hommes différents, tourmentés et complexes. Serge, Claude, Pierre ou Allen. Ronald n’était qu’une silhouette dont je pouvais prévoir chaque geste, chaque mot. Il m’invitait à déjeuner, il me proposait de choisir entre la visite de je ne sais quel musée ou un concert. Il traversait les rues, en courant, en me serrant le bras au-dessus du coude, pour bien indiquer qu’il était un homme énergique, sensible à ma féminité. Pouah !
    J’ai moins de violence aujourd’hui. Un homme n’est jamais seulement son apparence. Si j’avais pris le temps… Pouah !
    Une dizaine d’années plus tard, je retrouve ma réprobation d’alors. Je n’aime pas les hommes conformistes. J’aime le refus et la révolte. Christophe – que j’aimais précisément pour cela – disait de moi dans son langage qui réduisait chaque comportement à une notion politique : « Tu es anarchiste, Nathalia. »
    Simplement, je n’aime pas les hommes réduits à leur image sociale, ceux qui se coulent dans le moule de leurs fonctions, jusqu’à ressembler, vêtements, gestes, voix, à des modèles sociologiques. Qu’ils soient heureux, en paix, ces mannequins, ces hommes d’ordre. Qu’ils donnent le bonheur aux femmes qui leur ressemblent. Moi ils m’ennuient. Je préfère la tourmente, peut-être est-ce folie ?
    Je fus injuste, agressive avec Ronald.
    Nous dînions dans un restaurant chinois, non loin de mon hôtel, Sloane Street, Ronald parlait intelligemment de choses anodines. Il m’interrogeait avec une curiosité bienveillante. Je l’interrompais, je lui demandais ce qu’il pensait du napalm. La politique, je ne savais pas à quel point elle faisait déjà corps avec moi, épousant les aspérités de mon caractère, arme utile contre ceux que je n’aimais pas, moyen de m’affirmer. Je haussais le ton. Impérialisme. Capitalisme. Révolution. Les sédiments que Claude, Pierre ou même Sarah avaient déposés en moi, prenaient forme, devenaient l’expression de ma singularité. Je dénonçais l’injustice du monde, l’exploitation des pauvres. J’employais les mots de Pierre. Je disais de cette manière ma déception devant Ronald, le regret qu’il ne me séduisît pas, le besoin que j’avais d’un homme. Les idées, les convictions, j’en suis sûre, collent aux désirs comme la peau à la chair.
    Ronald ne savait quel comportement choisir. D’une phrase je renversais les convenances.
    « … Pour moi, vous êtes un ennemi de classe. »
    J’apprenais, en m’opposant à Ronald Clerkwood, ce que je pensais. Mes idées, vagues jusqu’alors, formaient des concrétions hérissées de saillants. Ronald haussait les épaules :
    « … Nathalia, croyez-vous que l’ URSS soit un pays démocratique, le communisme… »
    Je ne m’attachais pas à ce que les mots signifient d’oppression ou de liberté dans la vie quotidienne. J’étais du côté de la vérité, du côté de mon histoire, aveuglée quant aux raisons intimes de mon engagement.
    Tout ce que je disais n’était pas faux, mais puisque je ne savais pas pourquoi je le disais, mes convictions n’avaient aucune valeur.
    — Ne me raccompagnez pas, ai-je dit à Ronald.
    J’étais exaltée, seule à Londres, fière et malheureuse à la fois, épuisée, la tête douloureuse avec la sensation qu’elle battait à chaque pulsation de mon cœur, contrainte, alors qu’il eût fallu qu’elle brise les parois osseuses, se dilate jusqu’à exploser.
    — Tu as un drôle de regard, me dit Allen quand je rentrai à Renvyle, deux jours plus tard.
    J’avais à nouveau fumé ces cigarettes dont dépassaient des brins qui ressemblaient à de l’herbe. Il me saisit par les bras, approcha son visage du mien. Mes paupières me faisaient mal, j’avais l’impression qu’elles quittaient mes yeux.
    — Tu as des yeux de poisson mort ! hurla tout à coup Allen.
    Il me repoussa, monta en courant l’escalier, fit claquer la porte de son bureau. Je restais en miettes, je me voyais avec cette précision que j’avais découverte à la première cigarette d’herbe, mes sentiments avaient une forme et je dénombrais les fragments de mon corps que la

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