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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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août 1966, quand en sortant du café qui faisait l’angle de la rue du Val-de-Grâce et du boulevard Saint-Michel, Christophe m’avait dit : « Je passe la nuit avec toi, tu es d’accord ? »
    J’habitais rue Saint-Jacques, à cinq minutes. J’étais d’accord. Et comme il pleuvait nous courûmes jusque chez moi, nous protégeant de l’averse avec la dernière édition du Monde.
    Ces cinq années, les plus pleines de ma vie, je ne voulais pas qu’elles disparaissent dans le gouffre capricieux de la mémoire.
    « … Tu vas me faire un enfant », ai-je dit à Christophe.
    Il haussait les épaules.
    — Ton problème, disait-il.
    Il passait ces jours de l’été 1971 assis devant la seule table de notre logement. Il transcrivait ses notes prises au jour le jour, après le travail. Il le faisait sans entrain, se balançant sur la chaise, regardant par la fenêtre, répétant souvent :
    « … Foutu. Il y a des situations historiques ou c’est foutu. Toutes les solutions sont mauvaises, toutes. Le cas ici. »
    J’ai eu mon enfant et j’ai perdu Christophe.
    Il retournait au Quartier. Il ne voyait plus ses camarades. D’ailleurs les cellules s’étaient dispersées. Il rentrait tard, les yeux voilés, des périodes d’exaltation succédant à l’abattement. Il s’allongeait. Il ne me voyait pas. Il ne m’entendait pas.
    Quand il se levait, après plusieurs heures d’immobilité, il était irritable.
    « … Tu m’emmerdes ! » criait-il.
    Il avait des crises de larmes. Il se voûtait. Je m’asseyais près de lui, je le berçais. « Chris, Chris, mon Chris. »
    Il s’endormait parfois, la tête entre mes seins et je pouvais alors suivre les rides qui s’étaient ouvertes sur son visage, autour de la bouche et des yeux.
    Je me souvenais de la colère d’Allen contre moi et j’avais la tentation d’y céder. Chaque jour la volonté de Chris s’effritait. J’essayais de le soutenir, de l’empêcher de basculer. Il réagissait avec violence, me prenait par les poignets.
    « … Mais dis-moi, s’il n’y a que cette merde, si on ne peut rien changer que sa petite vie à soi, tu crois vraiment que ça vaut pas mieux de… »
    Il faisait virevolter sa main droite devant son visage pour indiquer qu’il choisissait une autre manière de transformer les choses : ne plus les voir ou découvrir une face dissimulée.
    Trip. Voyage. Herbe. Puis les veines bleues piquées de noir à la saignée du bras.
    Faut-il si quelqu’un se noie le laisser vous empoigner les cheveux ?
    Je me suis enfuie avec Samuel que je portais.
    Samuel contre Christophe. La loi de la vie c’est le troc, mort contre naissance. Mon départ d’ailleurs, j’espérais aussi qu’il obligerait Christophe à changer d’existence, à quitter Argenteuil.
    Il le fit. S’installa dans le Massif central, haut, dans une bergerie où seul parlait le vent.
    Quand je revis son corps à la morgue d’Aubenas, il avait les cheveux coupés ras.
    Mais j’ai déjà raconté cela.
    Il me faut retourner en Irlande. Avant.
    Avant Christophe.
    Je gardais Martin, je commençais à aider Julia dans ses traductions. Elle dictait au magnétophone, je déchiffrais, je polissais le texte avant qu’elle le relise une dernière fois. J’aimais la minutie de ce travail, ce puzzle des mots qui me rappelait les jeux de mon enfance.
    Sarah était revenue nous voir, avait passé deux semaines avec nous. Elle songeait à s’installer en Israël.
    — Tu auras le Mas Cordelier pour toi, disait-elle.
    Je me cabrais. Je ne voulais pas qu’elle se sacrifie. Elle riait :
    — Mais non. Mon père, Mietek aussi, ils rêvaient tous au jour où nous aurions enfin une patrie, notre terre. Ma mère a eu peur toute sa vie, tu ne peux pas imaginer – Sarah baissait la tête – et elle avait raison d’avoir peur.
    Nous nous promenions sur la grève, le vent nous obligeant à avancer penchées, à parler fort pour qu’il ne déchire pas les mots et les emporte.
    — J’aimerais… commença Sarah, si tu as un fils, appelle-le Samuel, comme mon père, tu veux bien ?
    Je l’embrassais. Je n’imaginais pas à ce moment-là avoir un jour un fils.
    — Et si c’est une fille, ai-je dit, tu sais quel sera son prénom ?
    Je lui prenais la taille, je l’aidais à marcher contre le vent, les moutons recherchaient les creux des prés et l’eau du lac était drossée sèchement contre les berges.
    — Sarah, ai-je dit, je l’appellerai

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