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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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violence d’Allen avait dispersés. J’étais témoin de moi.
    — Qu’as-tu ? dit Julia. Tu es mal ?
    Je n’étais ni mal ni bien, je n’étais pas là où l’on me voyait mais diffuse dans la pièce, à m’observer avec les yeux de Julia ou ceux d’Allen.
    Il avait rouvert la porte de son bureau, commencé à descendre les escaliers, était remonté puis du palier, il criait :
    — Je ne peux pas accepter que les êtres se mutilent. Tu as vu ses yeux ? Elle qui a l’intelligence dans les yeux, toute la vie, voilà ce qu’elle choisit, la bêtise, je n’accepterai jamais, même si c’est au nom de la liberté. Si elle se drogue, qu’elle s’en aille, je ne peux pas, j’ai une autre conception de la vie, vieille, usée peut-être – il claquait à nouveau sa porte, la rouvrait – la lucidité, le courage, le travail, moquez-vous – il ne criait plus, parlait d’une voix lasse – je ne changerai pas, vous ne me ferez pas accepter la démission au nom de je ne sais quelle fuite, quel plaisir.
    — Viens.
    Julia m’entraînait.
    Je n’avais pas besoin des mots d’Allen mais de sa tendresse, de sa compréhension qu’il me refusait. Je n’avais pas à me justifier ou à m’excuser. Cette expérience m’avait été nécessaire. Je n’en étais ni fière ni humiliée, déçue seulement qu’Allen ne m’accepte que s’il se reconnaissait en moi. Si je devenais étrangère, il me rejetait.
    — Tu fais ce que tu sens, me disait Julia, assise près de moi dans le pré. Mais comprends Allen aussi, je suis sûre qu’il regrette sa colère.
    Peu à peu je reprenais pied dans le monde aux limites nettes. J’ai dormi, retrouvé ses livres.
    Allen et moi nous nous évitions. À table Julia seule parlait. Quand elle lisait ses traductions devant la cheminée, je m’asseyais près d’elle, sur le tapis.
    Un soir que Martin pleurait, qu’elle nous quittait pour se rendre auprès de lui, Allen a murmuré :
    — Tu m’en veux ? Si nous nous expliquions ?
    Je le regardais, je retrouvais le visage préoccupé que j’avais connu lors de ses séjours au Mas Cordelier. Il s’inquiétait pour moi.
    — Rien, ai-je dit à Allen, une expérience.
    — Peut-être suis-je trop vieux, dit-il.
    Il se levait, allait jusqu’à la chambre de Martin, en fermait la porte comme s’il ne voulait pas que Julia entende.
    — Trop vieux pour comprendre, reprenait-il. J’ai eu aussi ma drogue, le travail. Cela m’a empêché de vivre, de voir les autres, de les aimer, de risquer avec eux. Un jour je te parlerai de Tina, de Jorge. Je n’ai donc pas à juger, à te condamner, mais que veux-tu – sa voix s’enflait – je crois qu’un homme doit d’abord créer, pas seulement sa propre vie, créer hors de soi, transformer. J’aurais aimé travailler avec mes mains, un sculpteur, j’ai souvent envié Mietek, tu te souviens ? Aujourd’hui, ces jeunes qui se laissent porter, qui dérivent, non, non, Nathalia, je suis opposé à cela.
    — Moi aussi, Allen.
    Je me levai, je l’embrassai.
    Julia rentrait dans la pièce. Nous nous séparions un peu gênés. Elle se contentait de dire :
    — Si nous buvions quelque chose ? Thé, lait ou une bonne drogue alcoolisée ?
    Nous avons ri ensemble.
    Plus tard, j’ai mieux compris Allen.
    Nous habitions Argenteuil avec Christophe qui ne travaillait plus. « La boîte », comme nous disions, l’avait licencié avant les vacances. Indemnité légale. Procédure légale. Compression de personnel, comité d’entreprise averti, syndicat impuissant. Dehors Christophe Le Guen.
    — Salut, Le Guen, tu files en Bretagne ?
    — Ils m’ont lourdé, je suis viré.
    Deux ou trois ouvriers avaient, le temps d’échanger ces quelques mots, entouré Christophe. Mais ils avaient la bagnole à préparer pour le départ.
    — On se tire cette nuit, tu comprends, avant les bouchons.
    Été gluant dans la chambre que nous occupions non loin de l’usine et du centre d’apprentissage, où j’enseignais depuis que Christophe s’était fait embaucher à la C.M.G. Je lui ai proposé de descendre dans le Midi. Nous logerions au Mas Cordelier ou dans la bastide de Mietek. Sarah nous aurait accueillis. Christophe refusait.
    Plus de deux ans dans la boîte, une vie de taupe à renoncer à ce qui avait fait la vie, les bibliothèques, les discussions rue d’Ulm ou aux terrasses des cafés de la petite place derrière le Panthéon, ou bien aux « manifs »

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