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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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été absente de la pièce. J’aimais sa timidité, l’expression enfantine de son visage sous les cheveux blancs. Peu à peu, il s’enthousiasmait.
    Tu vois, disait-il, je n’ai encore rien écrit d’essentiel, j’ai cédé à la facilité, à la sentimentalité, pire, à la sensiblerie, toujours la surface. Maintenant, si Dieu le veut – il se tournait vers moi – oui, Nathalia, si Dieu le veut, je veux creuser.
    Je contestais.
    — Tu as creusé, j’aime beaucoup tes personnages, je t’y retrouve, je…
    — Justement, on ne devrait pas m’y retrouver, seulement l’homme, atteindre à quelques vérités qui valent pour tous, ici, pour l’Irlandais mais aussi pour l’Espagnol, le Japonais, moins d’anecdotes ; Nathalia, si tu écris un jour, chasse l’anecdote, ou alors qu’elle soit biblique, oui biblique, qu’elle devienne aussi fondamentale qu’une fable des origines, un mythe… Il s’interrompait.
    — Tu l’entends ?
    Martin criait dans la pièce du bas.
    — Je descends, disait Allen, je ne veux pas manquer cela.
    Il me prenait le bras.
    — Tu es une femme, être dans la vie t’est naturel, Nathalia, moi, il faut que je le décide. À plus de soixante ans, je ne sais rien, j’ai tout à découvrir.
    Il se taisait. Devant la cheminée, Julia donnait le sein à Martin. Allen s’asseyait sur l’escalier, chuchotait :
    « … Je n’ai jamais pris le temps. Maintenant, je donne tous mes livres, pour ça, je ne sais pas si tu comprends. »
    Je descendais, Julia me tendait Martin.
    Elle avait installé son bureau dans une petite construction attenante au bâtiment principal. Les murs étaient tapissés de livres, les dictionnaires restaient constamment ouverts sur la table. Julia traduisait. Le soir, souvent, Allen et moi nous lui demandions de lire les pages qu’elle avait terminées. La porte de la chambre où dormait Martin était entrebâillée, de temps à autre Julia s’interrompait, se levait, entrait dans la chambre.
    Allen avait les yeux fermés. Je posais deux briquettes de tourbe sur le foyer, je m’allongeais sur le tapis.
    — Je continue ? interrogeait Julia.
    J’avais hâte de connaître la suite de ce roman-témoignage de Marek Krivenko, Le Barrage. J’avais lu son livre précédent, Machkine, qu’avait traduit Julia. Je retrouvais la même force de vérité, les mots simples résonnaient comme des coups de hache, on entendait tomber les arbres lourdement dans la neige, les marteaux piqueurs creusaient la roche glacée, le barrage peu à peu s’élevait fermant le fleuve, mais il était aussi le mur qui emprisonnait le mouvement de la vie.
    — Le sens, disait Allen, tu entends ? – il se tournait vers moi – toujours double, chaque mot, chaque situation est à la fois concrète et symbolique, voilà, voilà ce qu’il faut faire.
    Si j’écris, je le dois à ces années passées près d’Allen et de Julia. Le bruit des machines à écrire m’est devenu familier, j’ai découvert ces vies multiples que donnent les mots. J’avais aimé le piano mais je prenais conscience que, quels que soient mes dons pour la musique – et Sarah et Serge les avaient crus grands – elle n’était pas ma manière personnelle de m’exprimer. J’avais désiré m’identifier à Sarah, mais je préférais la silencieuse et intense existence des mots, des livres. Je ne les quittais plus. Sur la grève, dans la lande, ils étaient avec moi. Je glissais un livre dans le landau de Martin quand je le promenais. La vie même devenait pour moi, un livre.
    Nous nous promenions souvent avec Julia. Dès qu’il faisait beau, que le ciel s’ouvrait sur le bleu vif des ciels atlantiques, nous quittions la maison. Je poussais le landau – plus tard, quand Martin commença à marcher, je le portais ou lui tenais la main – Julia avait les mains pleines de livres, qu’elle allait parcourir, humer avant de commencer la traduction.
    Nous nous asseyions derrière la maison, face à un pré clôturé, le dos appuyé au mur, protégées du vent par les bâtiments. Des arbres entre lesquels passaient des chevaux pommelés fermaient l’horizon. Nous commencions par le silence, nous lisions l’une et l’autre. Puis Julia – à moins que ce ne fût moi – disait :
    « … Écoute, intéressant. »
    Le passage d’un livre, quelques mots seulement parfois et nous rêvions toutes les deux. Il nous semblait – je dis nous car Julia, j’en suis

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