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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Sarah.
    Sarah pleurait. Quelques années de séparation avaient suffi pour qu’elle devienne cette vieille femme encore belle mais dont l’émotivité disait l’âge. Elle évoquait aussi de plus en plus souvent son enfance à Varsovie, l’escalier et le couloir de sa maison où elle se cachait au moment où son père partait. Ses parents, présents à chaque phrase, comme si sa mémoire se recroquevillait sur l’origine, ce temps long et sensible des premières années. La vie, une boucle dont les deux brins se rejoignent.
    Je la raccompagnais à Dublin, émue par ses silences, ses questions interrompues.
    — Tu restes encore ?…
    Sa discrétion.
    Je lui mentais.
    — Je viendrai te voir cet été, au Mas ou en Israël, là où tu seras.
    Je multipliais les petites lâchetés de femme jeune que la vieillesse dérange. J’étais égoïste. Mais je m’interroge, peut-on vivre sans égoïsme ? Peut-on devenir soi sans se choisir contre les autres ?
    Je ne sais toujours pas.
    Julia, à mon retour de Dublin, m’avait empêchée d’entrer dans la maison. Elle m’entraînait vers la mer. – Je te guettais, disait-elle.
    Elle éloignait Martin, « cours, regarde les moutons »…
    Elle me prenait le bras.
    — Il faut que tu saches, murmurait-elle.
    Le vent était tombé. Je l’avais affronté depuis Dublin, le laissant s’engouffrer vif dans la voiture. J’avais conduit trop vite sur ces routes qui ressemblent à des chemins creux et que de brusques averses rendaient glissantes. Je dois rappeler ces heures, le camion que je doublais, par défi, pour oublier Sarah que le temps emportait. La boue avait couvert mon pare-brise et en face de moi, ces phares, deux lueurs irisées vers lesquelles il me semblait que j’allais droit, comme on répond à un appel, puis au dernier moment – ce que j’avais vécu comme le dernier moment – le long hurlement du klaxon qui me frôlait, et devant moi la route, libre, semblable au plaisir quand tombent, la nuit, les dernières défenses.
    Plaisir : le mot est venu de lui-même. Je devrais écrire passion.
    Julia me racontait.
    Jorge, Jorge Bowler, le journaliste dont on avait parlé à propos de l’enquête sur l’assassinat du président Kennedy :
    « … Tu te souviens ? » demandait Julia. – Pour moi un nom dans les journaux. – « Il est avec Allen. »
    Un matin, alors que nous déjeunions derrière la maison, Allen s’était levé, ne répondant pas à Julia qui l’interrogeait. Il traversait le pré, s’éloignait entre les arbres, les mains derrière le dos, Julia criait : « Allen, qu’est-ce qu’il y a ? »
    Il faisait un grand geste du bras, pour indiquer que tout allait bien, que nous pouvions continuer sans lui. Nous l’avions aperçu, marchant sur la route, vers la presqu’île, là où à marée basse on découvre les ruines d’une tour médiévale.
    — L’inspiration, avais-je dit en plaisantant.
    Julia feuilletait le journal qu’avait laissé Allen, s’immobilisait. Je regardais par-dessus son épaule, un jeune homme photographié devant le bâtiment d’où l’on avait tiré sur le président Kennedy à Dallas.
    — Veux-tu garder Martin ? me demandait Julia. – Elle ajoutait, hochant la tête. – Je vais rejoindre Allen.
    Peu après, je la voyais sur la route, se dirigeant vers la presqu’île d’un pas rapide.
    Ils étaient rentrés vers la fin de la matinée, se tenant par la taille, si heureux d’être ensemble que je ne les avais pas interrogés. Mais je me souvenais de la légende de la photographie : Jorge Bowler, ici à Dallas, affirme que le président Kennedy ne peut avoir été abattu par un seul tireur.
    Ce prénom – Jorge – Allen l’avait déjà prononcé devant moi quand j’étais revenue de Londres.
    Maintenant Julia me parlait de Tina, de Barcelone en 1937, de Richard Bowler et de Jorge. J’apprenais que les vies ne sont jamais simples. Qu’à les croire droites, on se leurre toujours.
    Jorge était arrivé la veille alors que j’étais partie vers Dublin. Allen, quand il avait reçu son coup de téléphone, avait voulu quitter Renvyle.
    « … Je ne l’avais jamais vu ainsi, disait Julia. S’il avait eu la voiture, il se serait enfui, mais – elle souriait – à pied, avec la pluie, il a dû accepter de recevoir Jorge. »
    Jorge Bowler préparait un livre sur les Kennedy, histoire, enquête, biographie. Il faisait des recherches en Irlande, voulait une

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