Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II
soirée, après le discours de l’ambassadeur qui exaltait la grande alliance contre le nazisme et levait son verre aux combattants de Stalingrad, Serge s’approcha de la jeune diplomate. Elle se tenait un peu à l’écart, les mains derrière le dos, sa blouse d’uniforme aux larges épaulettes lui donnait une allure masculine, accusée encore par des cheveux coupés très court, mais l’expression du visage, le sourire étaient naïfs, juvéniles. Un instant Serge imagina qu’elle ressemblait à Sarah Berelovitz dont elle avait la taille.
— Vous êtes soldat ou diplomate ? demanda-t-il.
Elle avait été surprise par la question, elle se figeait. Avec son visage rond de paysanne russe, elle ne ressemblait pas du tout à Sarah.
— France Libre, dit Cordelier, De Gaulle.
Elle recommença à sourire mais la naïveté avait disparu. Elle était grave, parlait anglais sans accent :
— Conseillère traductrice Vera Vatouchine, dit-elle. Soldat d’abord et diplomate.
— Vous venez de Leningrad ?
De l’inquiétude dans son regard, un simple mouvement de tête pour répondre. Cordelier expliqua.
— Ce poème, commença-t-il, que vous avez récité à Julia Scott…
Il chercha Julia, la vit qui parlait avec Dolorès, la désigna à Vera Vatouchine :
— La fille de James Clerkwood, le premier consul américain – Vera Vatouchine se détendait – je voudrais dans ma chronique hebdomadaire…
Serge s’arrêta, fit un geste le poing fermé, imita le bruit sourd de l’indicatif d’ Ici-Londres. Vera Vatouchine sourit.
— Radio-Londres, reprit-il, Stalingrad, Leningrad, pour nous tous, en France, ce sont des noms qui…
— Pour nous aussi, dit Vera Vatouchine. Vous m’attendez ?
Elle avait traversé le salon d’une démarche décidée et rapide et Serge avait bavardé quelques instants avec l’attaché militaire soviétique, peut-être un homme de leur police politique. « Vous avez admiré l’anglais de Vera, n’est-ce pas ? C’est la fille de Vassili Vatouchine, le général qui commande en second à Stalingrad. Elle a eu un voyage difficile, Moursmansk, son convoi, sept cargos anglais, a été attaqué neuf fois par les sous-marins, puis les avions… »
Vera Vatouchine s’approchait, tenant un petit livre à couverture grise. Elle était essoufflée.
— Les Voix sacrées de la Patrie, dit-elle, en montrant le titre à l’officier soviétique. Nos meilleurs poètes, la traduction est excellente.
Elle donnait le livre à Serge Cordelier.
— Vous avez eu un voyage mouvementé, je crois, dit Serge. Elle regarda à nouveau l’officier, haussa les épaules.
— Il faisait froid, répondit-elle en riant. Le bateau était couvert d’embruns gelés, comme des algues. Pas plus froid qu’à Leningrad.
Elle reprit le livre à Serge, l’ouvrit.
— Voilà le poème que vous cherchiez.
Serge lut : Écrit à Leningrad le 1 er janvier 1942. Il chercha la signature, interrogea :
— Maria Blumen ?
— Une inconnue, dit Vera Vatouchine. Je ne sais rien d’elle, mais un grand poète sûrement. Leningrad est la ville des poètes, notre Pouchkine, Anna Akhmatova…
— Je dirai cela aussi, murmura Cordelier.
Quand dans le studio de radio – ce silence glauque du studio – Serge avait levé les yeux vers le technicien qui, de l’autre côté de la vitre, les deux mains ouvertes, indiquait qu’il restait dix secondes avant l’indicatif – Ici Londres, les Français parlent aux Français, Serge Cordelier, délégué du général De Gaulle à l’information vous parle. Serge regardant les papiers placés devant lui et le livre de Vera Vatouchine, réalisa qu’il avait oublié de traduire ce poème de l’anglais et qu’il devait renoncer à le lire ou bien, le découvrir ici, en français en même temps qu’il le lisait. Five, dit le technicien. Serge fit un signe de tête, et quand l’indicatif fut achevé, il dit : « Ce soir, 1 227 e jour de lutte du peuple français pour sa libération, ce soir, alors que des dizaines de milliers de soldats allemands avec leurs généraux viennent de capituler à Stalingrad, ce soir jour de deuil pour le III e Reich qui connaît le prix du sang et des larmes, ce soir je veux lire un poème venu de Leningrad, la ville que Hitler n’occupera jamais, la ville de Lénine et des poètes. Ce poème est celui de toutes les résistances. Je le lis en hommage aux combattants soviétiques et aux
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