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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Blumen écrivait. Elle souriait. Anna s’asseyait près du four en brique, prenait Ivan sur ses genoux.
    — Écoutez, écoutez, disait Maria.
    Elle approchait encore la bougie du cahier, commençait à lire :
    Les yeux gelés et les mains prises
    Nous refuserons la mort grise
    Nous vivrons
    De colère et d’espoir têtus
    Nous ouvrirons de nos mains nues
    La banquise
    — Je le dédie à Ivan, reprenait Maria, pour cette année 1942.
    Anna Spasskaia se taisait, berçait Ivan.
    — Ma mère, commença-t-elle, je me souviens, ce poème qu’elle avait écrit, l’année de ma naissance, je l’ai trouvé plus tard, le premier vers :
    Neva des aurores blanches
    Anna s’interrompit, glissa sa main sous son manteau, toucha le morceau de pain durci, le prit, le posa sur le four, près de la théière.
    — Nous allons faire une fête, dit-elle, pour 1942.
    Elle brisa le pain en trois morceaux.
    Ils ne lui avaient pas encore fermé les yeux à coups de poing et de pied. Ils avaient ouvert la porte de la cellule et ils l’avaient poussé en avant, et parce qu’il avait les mains liées dans le dos, il était tombé sur le front et le visage, son nez commençant à saigner et peut-être sa bouche, pleine d’une glu douceâtre. L’un d’eux, celui qui durant le trajet en voiture s’était tenu à sa gauche, lui donnant de temps à autre un coup de coude au bas des côtes, qui pliait Serge, avait crié avant de refermer la porte :
    — On va te crever, Cordelier, comme une paillasse, mais d’abord tu cracheras tout ce que t’as là – il avait fait un geste, le poing fermé vers sa tête – tu cracheras et tu crèveras.
    Il avait craché vers Cordelier qui s’était à demi redressé.
    Bruits de verrous. Voix. Les pas dans le couloir, le silence.
    Serge s’était traîné vers le mur, s’y appuyant de l’épaule, et là, presque contre sa joue, ces mots tracés dans le plâtre :
    Nous refuserons la mort grise
    Nous vivrons.
    Une lettre isolée, A, le début d’un nom sans doute, sous ces deux phrases écrites avec le bout de l’ongle et sur lesquelles Serge Cordelier posait ses lèvres.
    Les mots comme graine que le vent porte, qui peut les suivre ?
    Ils revinrent, redressèrent Serge d’un coup de la pointe du pied, le saisirent sous les aisselles. — Finie la sieste, dit l’un.
    Le couloir devant soi. Au bout de ce rectangle clair, une fenêtre et ce souvenir, les pigeons au jardin du Luxembourg, dans les pelouses de l’enfance, Serge tendait les mains, ils étaient si proches, il suffisait d’un mouvement brusque, courir, jeter sa tête en avant, tomber.
    Serge retrouva cette odeur de terre et de foin, la nuit claire, les lampes de poche au-dessus de lui comme des lucioles intermittentes selon que le vent déportait le parachute plus ou moins loin de l’aire d’atterrissage, le choc, les sillons, les secondes durant lesquelles Serge était resté agenouillé, le visage dans l’herbe ; les mains qui l’aidaient à se relever, les chuchotements : « Ça va ? » « Vite. » « Ils ne sont pas loin. » La course dans les bois, la ferme, le lait tiède, à peine trait.
    Il hésita. La fenêtre à quelques mètres au bout du couloir. Mourir pour ne pas parler. Mais le poème tout à coup retrouvé, un sursaut de volonté venu de la mémoire.
    Les yeux gelés et les mains prises
    Nous refuserons la mort grise
    Nous vivrons
    De colère et d’espoir têtus
    Nous ouvrirons de nos mains nues
    La banquise.
    Il ferma les yeux, ignora le rectangle de la fenêtre, s’enfonça dans l’ailleurs, ce lointain, suivant ces graines que le vent porte, les mots.
    Un soir, début janvier 1943, dans les salons de l’ambassade de l’URSS, à Londres, Julia, la fille de Dolorès Clerkwood, Julia dont le mari Ralph Scott venait d’être abattu au-dessus de l’Allemagne – vivant, mort ? – s’approchait de Serge Cordelier.
    « … Ces Russes, disait-elle, cette jeune femme – elle montrait la jeune secrétaire d’ambassade qui avait accueilli Serge Cordelier – elle arrive de Leningrad, elle m’a récité un poème extraordinaire, Serge, je l’ai noté. »
    Julia fouillait dans son sac, dépliait une petite page de carnet quadrillée, lisait le poème de Maria Blumen, écrit un an auparavant dans la cuisine glacée d’Anna Spasskaia, à Leningrad, non loin de ce marché aux foins où l’on disait que des hommes gras faisaient commerce de chair humaine.
    Plus tard dans la

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