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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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l’autre, chattes rivales à moins qu’elles ne s’entendent pour les dévorer Sarah et lui. Complicité du rire puis silence à nouveau. « Mon oncle, ajoutait Serge, le jésuite, en ce moment, à cause de la guerre peut-être, souvent j’imagine… » Il s’interrompait. Giulio Bertolini dont ils ne recevaient plus de nouvelles depuis l’occupation de Shanghai par les Japonais. « Tu crains », disait Sarah.
    Il aimait qu’elle le devance ainsi, qu’elle comprenne ce qu’il ressentait, cette attirance pour cet oncle inconnu dont la vie tout entière avait été vouée aux autres, cherchant à atteindre l’essentiel. « Il ne s’est pas perdu, disait Serge. Mon père non plus. »
    Il se redressait, s’appuyait sur le coude, la joue posée sur la main, son visage proche de celui de Sarah. « Un axe dans leur vie, donner, comprendre, Gallway aussi, il invente, il exprime ; toi, tes concerts. Moi, Sarah, je me perds, quel est le sens ? Diplomate ? – il commençait à rire – Tu te souviens… »
    Elle l’attirait, l’obligeant à poser sa tête à nouveau entre ses seins.
    « … Tu te souviens ? répétait-il. »
    Elle l’empêchait de parler pour qu’il ne dise pas qu’à leur première rencontre, dans l’appartement qu’occupait toujours Nathalia Berelovitz, rue d’Assas, Sarah lui avait demandé, ironique, s’il n’était pas acteur.
    « Un clown, murmurait-il. Père savant, et moi clown. »
    Il disait cela sans amertume car ces nuits du mois de mai 1940 étaient celles d’une attente sans hâte, le moment où l’on sent venir la haute vague et avant qu’elle ne déferle il faut reprendre souffle.
    Souffle.
    La bouche de Serge s’ouvrait malgré lui quand ils lui tenaient trop longtemps la tête dans cette eau noire, épaisse comme la merde. Il vomissait par spasmes qui semblaient lui arracher les yeux. Ils le tiraient par les cheveux, ils le souffletaient, avant de le plonger à nouveau jusqu’aux épaules dans la baignoire placée à l’angle d’une pièce dallée aux tuyauteries nickelées qui ouvrait sur le couloir au quatrième étage du 84 de l’avenue Foch. Serge ne savait pas qu’il battait des pieds et des jambes, si bien qu’ils se mettaient à trois pour le tenir, un par chaque épaule et le dernier, celui qui l’interrogeait, lui appuyait le ventre sur le rebord de la baignoire.
    Après plusieurs heures, ils le jetèrent dans une cellule sans lui lier les mains tant il était meurtri, le corps lacéré et fangeux, les yeux gonflés comme des fruits éclatés.
    Il reprit conscience.
    Nuit, jour ?
    Serge l’ignorait.
    Il se passa lentement les mains sur le corps, les bras retombant souvent. Serge eut l’impression qu’il s’arrachait une peau sale et morte, qu’il restait à vif et qu’il lui fallait, s’il voulait tenir jusqu’au bout, s’enfouir, n’être que l’âme de lui-même, se persuader que Sarah était à l’abri, que cette part de lui ne serait jamais atteinte, qu’elle était avec les noms des camarades, au centre du dernier cercle, secret comme la mort. Il tâtonna, frôlant le mur, se dirigeant vers une partie de la cellule qui lui semblait, au travers des fissures de ses yeux, plus claire.
    Fenêtre, sauter.
    L’idée revint, se brisa à nouveau sur les mots de Maria Blumen.
    Cette clarté lui rappela la lumière du 8 juin 1940 quand il avait rencontré Allen Roy Gallway dans son atelier du boulevard Raspail. Tôt le matin, Paris vide, une immobilité inquiétante de l’air, les événements suspendus dans cette roseur de l’aube, dans les vitres les plus hautes, des éclats encore froids du soleil masqué, l’annonce de la violente chaleur diurne, de la guerre bruyante qui s’étendait sur Paris.
    Serge Cordelier avait fait arrêter son chauffeur, puis il avait monté l’escalier en courant, sonné longuement et Allen devant lui, les cheveux ébouriffés, le cou enveloppé malgré la saison par un pull-over de grosse laine, qu’il portait comme une écharpe.
    « … Gallway, je m’excuse, je pars pour Londres dans une heure. » Serge regardait sa montre, suivait Allen Roy Gallway dans l’atelier, inclinait la tête pour saluer Catherine Jaspars debout dans l’escalier, un peignoir blanc jeté sur ses épaules. Elle portait une veste de pyjama bleu, qui appartenait peut-être à Gallway, trop longue qui lui descendait à mi-cuisse laissant les jambes nues.
    Ce souvenir, plus de trois ans passés et le corps

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