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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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un ouvrier fait grève ce n’est pas Staline qui peut le décider. Il prend des risques, mon cher. Staline ne m’a jamais rien ordonné, je me suis précipitée, j’ai demandé à obéir. »
    Il ne lui répondait pas, murmurait :
    « … La situation est différente. »
    Si elle prévoyait un déjeuner chez Mietek, avec Sam Lasky, une promenade à Cannes ou à Saint-Tropez, Serge s’excusait : des électeurs à rencontrer, les élections municipales à préparer, la visite du Général dans les Alpes-Maritimes à organiser.
    « … Nous tiendrons peut-être une réunion des cadres du Rassemblement ici, au mas. »
    « … Vous êtes chez vous », disait Sarah.
    Elle se levait d’un bond, s’enfermait dans la salle de bains. Elle se regardait. Chaque jour il lui semblait qu’elle ressemblait davantage à sa mère, ses rides sur le front, autour de la bouche, le nez surtout, plus busqué qu’autrefois, les cheveux devenus gris et qu’elle ne ferait jamais teindre, s’accepter telle que l’on est, lourde, comme si l’âme de son corps, peu à peu était recouverte par une écorce pesante, vieil arbre déjà, Sarah. Comment Serge eût-il pu encore la désirer ?
    Peut-être s’enfonçait-il dans la politique – la vice-présidence de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre, une élection comme Conseiller général du département, un poste de Secrétaire national du Rassemblement du Peuple Français – pour ne plus la voir, elle, ne pas reconnaître que le temps de leur amour était passé, qu’ils étaient à la cinquantaine, au moment où l’on devient un homme public comme on dit, parce que la vie privée est vide, ou morte déjà. Alors oui, Serge prononçait des discours, présidait des banquets, dénonçait Staline, le blocus de Berlin, la guerre de Corée. Il se battait en 1951, pour être réélu. Les temps avaient changé, il arborait l’étiquette gaulliste, la circonscription ne l’était guère, il l’emportait pourtant au second tour, rayonnant, mais jamais seul avec elles deux, Sarah, Nathalia. Avait-il peur à ce point de ce miroir qu’était Sarah, où il eût découvert son âge, son visage empâté, le double menton, la calvitie qui des tempes gagnait mois après mois et que maladroitement il essayait de masquer, plaçant les mèches de manière à faire croire… Ce geste quand Sarah le surprenait lui donnait une brutale, irrépressible envie de sangloter, comme le mouvement pathétique d’une symphonie, quand il s’accorde au désespoir qu’on cache et qu’il vous plie. Elle détournait la tête, elle préférait l’aider à oublier et s’aveugler elle aussi.
    « … Expliquez-moi, Serge, ces gaullistes qui quittent le Rassemblement, l’ambition, n’est-ce pas ? Ils veulent devenir ministres. Vous en êtes ? Ou bien fidélité, fidélité ? »
    Il cessait de se coiffer, la politique, l’agressivité entre eux comme un moyen de ne pas sentir la poigne du temps.
    — Vous en doutez ?
    — La politique, commençait-elle.
    — Mais je ne condamne pas ceux qui nous quittent. Ils font le choix de l’efficacité immédiate. Nous en avons longuement discuté avec Letel, le Général laisse chacun libre de ses décisions. Souvenez-vous de sa déclaration : « Les Compagnons, ce qu’ils auront à faire dans le cadre du régime, ils le feront sans engager le Rassemblement lui-même et sous leur responsabilité. »
    — Que pourrait-il dire d’autre ?
    Nathalia poussait la porte d’un élan joyeux qui se brisait en les voyant, Nathalia si intuitive qu’il suffisait d’un mot, d’un visage fermé pour que Sarah perçoive le désarroi de l’enfant.
    Des heures parfois pour la rassurer à nouveau.
    « … Viens, nous allons jouer ensemble. » Elles s’asseyaient côte à côte devant le clavier, « commence », disait Sarah. Elle avait renoncé aux tournées mais chaque jour, pour elle, pour Nathalia, elle jouait parfois deux ou trois heures, les meilleures du jour, Nathalia blottie sous le piano, le visage contre le genou de Sarah, cette communion entre elles, Nathalia prenant parfois les jambes de Sarah entre ses bras.
    À l’âge de cinq ans, Sarah avait mis Nathalia au piano, sans jamais la contraindre pour que la musique devienne partie d’elle-même si elle en éprouvait le vrai besoin. Sarah l’espérait. Entre elle et Nathalia, il y aurait alors comme un vrai lien maternel. Cinq ans maintenant que Nathalia jouait. « …

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