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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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gaver. Quand il dit : « encore », je me précipite. La bouche vide je ne peux m’empêcher de mastiquer comme lui. Je communie d’instinct avec mon fils.
    Je l’ai couché. Je suis retournée dans la bibliothèque et relisant ce que j’avais écrit j’ai voulu écouter la chanson que j’avais retrouvée. Je désirais me mettre au piano pour reprendre au bout de mes doigts la mélodie, expressive comme une tristesse un peu fanée. Je me suis tout à coup souvenue, cherchant le disque, des paroles exactes de la chanson :
    Il n’aurait fallu qu’un moment de plus pour que la mort vienne.
    L’amour, la mort. J’avais pris un mot pour l’autre. Avais-je si peur de l’amour – en ai-je encore si peur peut-être – qu’il est pour moi l’équivalent de la mort ?
    J’ai réfléchi ainsi à ce que j’ai écrit de mes rapports avec Pierre Monod.
    Je n’aime pas cette petite personne glacée qui dissèque, fait le bilan et s’enveloppe pour finir des plis soyeux de l’emphase : l’amour, la mort.
    Je fus cela pourtant, aussi cela. J’ai trop longtemps manqué de courage et de noblesse avec Pierre. Je n’ai pas été différente de Laurence Castellan que je rencontrai sous les arcades de la place aux Aires.
    Elle me prenait par le bras après m’avoir embrassée.
    — Tu as une liaison avec Monod, il paraît ? C’est comment dis-moi ? Il est bien ?
    Elle attendait, avide, des confidences, elle riait, me donnait en appât quelques bribes de sa vie.
    — Tibor, le peintre… Il est fou de moi, il…
    Détails qui me compromettaient. Puisque l’on osait me dire – « après – Laurence pouffait – il chante, si tu l’entendais, il se frappe la poitrine avec le poing fermé, il me fait peur » – j’appartenais à ce clan des femmes bourgeoises que je voulais fuir. J’avais beau refuser les jupes courtes, les talons hauts, le maquillage, le coiffeur, je n’étais rien de plus que l’une d’elles : un amant qu’on observe sans passion, deux corps qui se côtoient de 5 à 7 pour satisfaire des besoins et la curiosité en est un des plus forts, puis le commérage, l’autre qu’on livre pour le plaisir orgueilleux de paraître. Il s’est mis nu, il imaginait n’être qu’avec une femme. Pour le voir les yeux de tout un groupe, les amies, les relations des amies.
    Horreur.
    — Je quitte la France, ai-je dit à Laurence, pour plusieurs années.
    — Tu es enceinte de Monod ?
    Je n’ai pas répondu à Laurence. Elle me tendait le piège de ses petitesses. La médiocrité est contagieuse. Je devais partir.
    Je me souviens sans honte de ces derniers jours de l’automne 1962. J’avais pris conscience de la manière avare dont je me conduisais avec Pierre.
    À plusieurs reprises, j’avais refusé de passer quelques jours avec lui, en Italie. Peur de trop accorder, de m’engager. Certitude que j’avais obtenu de Pierre tout ce qu’il pouvait me donner. Ce jugement étriqué et sordide de boutiquière qui calcule son profit, je l’ai éprouvé. Comme si les relations entre un homme et une femme, pour exister, ne devaient pas toujours jouer avec le risque ! Ce n’est qu’à doubler la mise qu’on gagne. Vivre de rente en gérant petitement ses sentiments, voilà ce que j’avais fait avec Pierre.
    J’avais abandonné Laurence sur la place, j’étais irritée contre moi, et la colère est parfois bonne conseillère. Je rentrais au Mas Cordelier. Au milieu de l’allée de cyprès, j’entendis Sarah qui jouait. Vivacité allègre de cette pièce de Mozart, je me mis à courir, elle était joyeuse, Sarah, je le devinais à sa manière de jouer. Je la vis par la fenêtre, la tête penchée sur le côté accompagnant de tout le buste le mouvement léger de ses doigts. Je m’assis sur le rebord de la fenêtre, et quand elle eut fini, qu’elle se retourna, je lui ouvris les bras pour que, après si longtemps – quelques jours de brouille cela nous semblait à l’une et à l’autre éternel – nous nous retrouvions.
    — Allen, dit-elle, Allen a un enfant.
    J’avais vu arriver au mas les lettres d’Allen Roy Gallway. Je connaissais son écriture hachée aux longs jambages, Sarah avait voulu me parler de lui mais j’étais trop enfermée en moi-même pour l’écouter. Il s’était marié, m’avait-elle dit, avec la fille de l’un de ses amis, Julia Scott, beaucoup plus jeune que lui, ils vivaient dans une ferme isolée en Irlande, au bord de la

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