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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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avions-nous eu vraiment une relation « adulte », raisonnable – pouah, pouah, je ne peux m’empêcher d’écrire ma grimace mais je veux aller au-delà de cette condamnation instinctive – une fraternité qui laissait à chacun la liberté de voir l’autre, d’entendre de lui plus que les mots violents et tourmentés de l’amour.
    — Je crois, continuait Pierre, que tout va se jouer en France en 78, si la gauche l’emporte aux prochaines élections, il y a une chance pour un socialisme enfin…
    Je ne m’étais jamais identifiée à lui comme je l’ai fait plus tard avec les deux hommes que j’ai aimés. J’avais seulement été contrainte – et c’est ainsi qu’on se fait – de savoir ce que j’étais par rapport à lui.
    Nous étions parvenus sur la place aux Aires, l’un des lieux d’autrefois, l’une de ces rades où les temps se mêlent.
    — Tu habites le Mas Cordelier ? demandait-il.
    Je montrais Samuel.
    — Avec lui.
    — Seule avec lui ?
    Je disais oui.
    — Qu’est-ce que tu fais ?
    Je secouais la tête, mes cheveux étaient trop longs. J’avais chaud.
    — Je raconte.
    — Tu écris ?
    Il me prenait le bras, il riait.
    — Je savais que tu finirais comme ça. Tu n’étais pas dans les choses vraiment, mais à côté, à les observer. Tu t’es toujours regardée vivre, Nathalia. Dans ces cas-là, un jour, on écrit.
    Je m’insurgeais. Je ne voulais pas admettre que, il y a quinze années déjà, les jeux de ma vie étaient faits.
    — J’ai beaucoup vécu, Pierre. Politique, etc. Tout aurait pu être différent. Ma vie a été une suite d’accidents, de surprises.
    J’embrassais Samuel.
    — Je vois, je vois, disait Pierre. Mais moi, tu ne m’étonnes pas. Je regrette. Logique que tu en sois à… – il pianotait – je t’ai toujours vue comme une machine à écrire.
    Je haussais les épaules, je murmurais :
    « … Je dois rentrer, je te téléphonerai. On dînera si tu veux, quand j’aurais terminé, je commence seulement. »
    Mot à mot, ma vie à dire.
    Un long parcours ma vie, même si à l’écrire tout se condense et que la tentation est grande, au lieu de laisser les volutes se déployer telles que je les ai vécues, d’aller droit d’un point à l’autre, de mêler les visages et les lieux, de bouleverser le temps, de dire d’abord la fin, la mort de Christophe, avant de parler de ma rencontre avec lui.
    Mais il en va ainsi de la mémoire, Christophe est double désormais, Janus aux cheveux bouclés, avec qui je m’asseyais un soir, dans ce café qui fait l’angle de la rue du Val-de-Grâce et du boulevard Saint-Michel, août 1966, je crois, l’été orageux et une averse nous avait poussés là alors qu’il me raccompagnait chez moi, j’habitais rue Saint-Jacques, et ce n’était pas le trajet le plus court, nous aurions dû, de la rue d’Ulm, prendre directement, mais nous avions l’un et l’autre le désir de marcher jusqu’aux jardins de l’Observatoire, vers la fontaine et le silence des allées.
    « … Tu comprends. »
    J’entends encore ce verbe qu’il plaçait au début de chaque phrase.
    « … Tu comprends, disait-il, il faut interroger le réel. »
    La curieuse manière de parler de Christophe. Quand il avait commencé son intervention dans cette petite salle de cours de l’École normale supérieure, je m’étais penchée vers Emmanuelle Tomi :
    « … Qui est-ce ? »
    Les mots qu’il employait, simples pourtant, me paraissaient prendre un autre sens.
    « … Le Guen, disait Emmanuelle, philosophe lui aussi, Christophe Le Guen. »
    Elle poussait vers moi l’une de ces revues rouges où les lettres des titres étaient des sillons noirs, l’ouvrait, me montrait un article : Aller au peuple pour apprendre.
    « … Christophe », murmurait-elle.
    Christophe, Janus aux cheveux ras, couché sous ce drap blanc qui lui cache la gorge et le menton. Je voudrais faire un pas, soulever le drap, voir la plaie qui doit s’ouvrir, là sous le pli à peine perceptible du tissu. Je connaîtrais ce point de mort où Christophe a placé le canon du fusil de chasse, un matin. Je ne sais plus qui m’a téléphoné, qui m’a conduite jusqu’à la morgue d’Aubenas où on l’avait descendu.
    « … Il n’a pas résisté, m’expliquait-on. La montagne, le silence, il faut y être habitué depuis la naissance. »
    Christophe n’est pas mort du silence des choses mais du mutisme des hommes qui

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