Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II
mer. « Entre les pierres et les vagues », avait dit Gallway.
J’ai pris Sarah par le cou, je suis entrée dans la pièce en franchissant la fenêtre, je l’ai entraînée jusqu’au canapé.
— Nous allons toi et moi, ai-je dit, aller les voir. Je resterai peut-être là-bas et tu rentreras te chauffer ici.
Si facile de donner de la joie.
Sarah riait.
« … Je n’avertirai pas Allen, disait-elle, nous allons le surprendre. Tu veux vraiment que j’organise ce voyage ? »
Je restais contre elle, je murmurais :
« … Dans dix jours. Avant je veux partir avec quelqu’un. Tu connais Monod ? Pierre, celui qui a été arrêté, le prof de Claude ? »
Je sentais les muscles de Sarah se raidir. Je l’embrassais.
« … Il faut que je le fasse, maman. Mais nous partirons toutes les deux. Si je dois revenir pour vivre avec Pierre, ici, ce sera après notre voyage à toi et à moi. »
Je savais que je ne vivrais pas avec Pierre, mais je voulais en prendre le risque pour effacer ces relations au jour le jour où je m’étais médiocrement embourbée. Je ne m’apitoyais pas sur Pierre. Je ne lui donnais pas un pourboire avant de le quitter. Je voulais simplement m’assurer que je ne ressemblais pas à Laurence. Les autres me poussent à agir. Leurs vies que je vois si souvent passives me fascinent et m’attirent. J’ai si peur de devenir leur double que je m’écarte d’un mouvement brusque de leur route, que j’ai pourtant envie de suivre, et ce faux pas fantasque, ma défense, je me maudis de l’accomplir, tout en en étant fière.
— Allons en Italie, ai-je dit à Pierre, tu le voulais, n’est-ce pas ?
Il me prenait le visage à deux mains et comme à chaque fois qu’il regardait de près il soulevait ses lunettes, les posait sur son front : « Toi… » disait-il.
Ses yeux étaient doux, trop sans doute pour moi. Son nom, Pierre Monod – on s’attache parfois à des signes dérisoires – je le trouvais trop français, sans vigueur. Je ne vivrai pas avec Pierre.
— Toi, reprenait-il, tu vas me faire passer un examen ?
Je secouais la tête, je fixais ses yeux, j’y lisais l’incertitude et la bonté, je ne savais que dire, je me jurai de ne plus jamais accepter de faire l’amour avec un homme que si je me croyais prête à tout partager avec lui. Ridicule en notre temps de liberté mais qu’importe ! Je faisais l’expérience amère de la division de moi, trop difficile à vivre pour moi. Je ne chargeais mon refus d’aucune morale. Je me découvrais ainsi, absolue.
— Tu me quittes, alors ? interrogeait Pierre.
Il s’écartait de moi, s’asseyait sur le lit, remettait ses lunettes. Il se voûtait. Il souriait si tristement que c’en était une grimace. Seule, rester seule plutôt que de faire souffrir. Si facile de donner de la peine.
— L’Italie, ajoutait-il, où veux-tu que nous allions ?
Je citais des noms de villes, j’évoquais les peintres et les piazze, je disais les fontaines, les cyprès de la campagne toscane, les rades et les promontoires, les villes ensevelies, dépliant touristique pour des amours de convention. Je cessais tout à coup.
— Partons, Pierre, ayons cela en commun, cette semaine entière sinon ce que nous avons vécu…
Je me souviens de ce qu’il me dit alors, je garde ses mots comme un témoignage qui me rassure, une preuve que je présente au procureur que je porte en moi pour qu’il m’accorde que, au moins à la fin, j’ai été droite avec Pierre.
— Droite, disait-il précisément, tu es droite et claire, Nathalia, je t’aime pour cela. Nous allons partir ce soir si tu veux.
Faire confiance à l’autre, dire la vérité et en tout cas ne pas lui mentir, je m’engageais à cela cependant que Pierre téléphonait au lycée, expliquait qu’il était souffrant, qu’il serait absent. Il faisait rapidement une valise, nous passions par le Mas Cordelier afin que je prenne quelques affaires.
— Viens, ai-je dit à Pierre, tu ne connais pas Sarah, ma mère.
Sarah timide.
J’étais émue de ses maladresses, de ses hésitations :
« … Puis-je vous offrir… » commençait-elle.
Elle butait sur les mots, me jetait un regard rapide. Je sentais que les rapports entre nous ne seraient plus jamais les mêmes, qu’en lui présentant Pierre je venais de m’affirmer adulte.
Je l’embrassais. Je disais :
« … Je vous laisse Pierre et toi, je n’en ai que… »
Je montais l’escalier en
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