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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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courant. De ma chambre, cependant que je lançais des vêtements sur le lit, j’entendais la voix lente de Pierre, cette illusion d’assurance qu’il donnait en détachant les mots :
    « … Dans l’affrontement avec les États-Unis, Khrouchtchev s’est conduit d’une manière que je crois aventureuse, les Chinois, de ce point de vue… – fusées soviétiques à Cuba, Kennedy, la Chine – une stratégie de lutte contre l’impérialisme américain… »
    J’étais heureuse, je riais silencieusement tout en fermant mon sac de voyage. J’avais osé. J’étais moi devant Sarah, devant Pierre. J’apprenais que c’est là le plus grand des plaisirs, le privilège majeur. Ne jamais y renoncer.
    Je me donnais un coup de peigne, je les écoutais. Ils poussaient leurs mots comme des animaux flairent, effleurent d’une patte pour reconnaître l’autre.
    « … La Chine, disait Sarah, mon mari s’y est beaucoup intéressé. Son oncle, un jésuite, avait eu comme élève Lee Lou Ching, oui, l’un des proches de Mao, semble-t-il, son porte-parole en tout cas… »
    — Voilà.
    Je posais ma valise au pied de l’escalier. Sarah me regardait, désemparée.
    — Tu pars alors, si je…
    — Je téléphonerai, maman, tous les jours.
    Je la serrai contre moi. Je sentis ses larmes sur mes joues.
    Pierre baissait la tête, coupable.
    — J’entraîne Pierre, ai-je dit en riant. Il n’avait aucune envie de m’accompagner.
    Sarah me caressait les cheveux.
    — Tu sais ce que tu veux, disait-elle à mi-voix.
    — Une semaine, ai-je chuchoté, puis toutes les deux, toi et moi.
    Je sortais la première. Je les laissais en face l’un de l’autre. Pierre balbutiait.
    Je m’installais dans la voiture.
    — Roule vite, ai-je dit.
    Ce voyage en Italie, à la frontière de l’automne et de l’hiver, je n’en ai retrouvé que peu de traces. Effacées par la pluie qui nous accompagna de ville en ville. Nous grelottions dans des hôtels vides, les draps des lits étaient humides, les rues crevées de flaques et j’avais chaque soir les pieds glacés. Des pudeurs inattendues entre nous, comme si l’intimité de tout un jour, de la nuit à venir, nous faisait découvrir que nous étions demeurés étrangers. L’amour en harmonie grise avec le temps. Pierre se mit à tousser. Il achetait à Pise un chapeau qui lui donnait une tête de paysan, peut-être notre seul rire.
    Nous sommes rentrés au bout de cinq jours par la route qui longe la mer et que battaient l’averse et les embruns. Dérapage après le pont de Villeneuve-Loubet, à quelques kilomètres de notre lieu d’arrivée. Nous étions indemnes, nous regardions la voiture qui avait glissé dans le fossé. Pierre ouvrait les bras en signe d’impuissance.
    « … Je ne voulais pas qu’on se quitte, disait-il, mais même cela c’est raté. »
    Nous souriions l’un et l’autre comme de vieux complices.
    « … Prends le car », ajoutait-il.
    Nous marchions côte à côte, les platanes étaient déjà nus et la terre avait l’odeur des feuilles tombées.
    Quand j’ai revu Pierre, il y a quelques semaines, par hasard…
    Quelqu’un m’appelait, je portais Samuel sur le bras gauche, les rues de Grasse sont en pente raide et j’étais lasse, j’avais beaucoup de peine à me retourner, mais la voix m’était familière sans que je puisse l’identifier : « Nathalia, Nathalia. »
    Pierre était derrière moi, à quelques pas qui faisaient quinze années, Pierre rond, chauve et le même air de bonté et d’enfance.
    — Ton fils ? demandait-il, ses premiers mots.
    Alors je me souvins du bord de route, du car qui démarrait et de la silhouette entre les platanes. Pierre qui saluait cérémonieusement, le chapeau tenu à bout de bras sous l’averse.
    Pierre, tout en marchant près de moi, me racontait quinze années, un bout de rue bordée de maisons roses pour parcourir ce temps, une longue part de nos vies.
    « … Je suis à la Fac, maintenant, toujours pareil, on se bat, on se bat. »
    Il s’excusait d’être resté semblable et à l’entendre je mesurais combien il avait eu d’influence sur moi. J’avais cru, parce que je n’avais jamais éprouvé pour lui de la passion mais de la curiosité, l’avoir tenu à distance. Je m’interroge. J’avais écouté Pierre, adopté beaucoup de ses convictions, précisément parce qu’il était resté pour moi, l’autre, que je ne cherchais pas à me perdre en lui. Peut-être

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