Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I
l’hôtel Impérial, Unter den Linden, passait à l’ambassade.
— Je n’ai pas d’adresse fixe, disait-il, je change d’hôtel souvent.
Il allumait une cigarette, faisait quelques pas comme s’il allait sortir, revenait vers le bureau de la secrétaire.
— Tina Deutcher, une journaliste de New York, ça ne vous dit rien ?
— Bien sûr, répondait la secrétaire, vous voulez son adresse ? Elle vient souvent à l’ambassade.
Allen notait dans la marge du journal le téléphone de Tina.
— Ne lui dites rien, n’est-ce pas ? – il clignait de l’œil – je veux la surprendre.
Tina Deutcher aimait Berlin.
Elle avait quitté New York trois mois plus tôt, lassée de Mackievicz, de ses prévenances, de ses soirées où il l’entraînait : lancement d’un film, signature d’un contrat avec une vedette, un producteur associé. Il semblait à Tina que les jours ne se succédaient plus, imprévisibles, mais répétaient les mêmes scènes.
Elle avait envie de mourir. Excessif, stupide.
Un soir, alors que Mackievicz fredonnait, riant seul avec cet entrain qui désespérait Tina, elle était venue s’asseoir sur le rebord de la baignoire.
— Mac, avait-elle dit, peux-tu m’écouter ?
Il avait essayé de l’embrasser, mais elle le tenait à distance, et déjà, de pouvoir ainsi ne plus céder, par habitude ou par tendresse, elle se sentait plus forte, renouvelée.
— Mac, je m’en vais, disait-elle, je ne peux plus, si je vis avec toi encore, comme nous vivons, je vais te haïr, je vais te reprocher tous mes renoncements, je ne veux plus vivre avec toi, Mac, j’ai besoin d’autre chose.
Il balbutiait, souriait parce qu’il imaginait qu’elle exagérait comme elle en avait l’habitude, simplement pour tendre l’atmosphère d’une journée. « Tu provoques les ruptures, disait-il, parce que tu aimes les réconciliations. » Il fallait que Tina répète ce soir-là :
— Je ne plaisante pas, Mac, je m’en vais cette semaine, ou demain si cela te gêne, puisque j’ai décidé.
Il se révoltait, interrogeait avec des accès de grossièreté insupportable. Plus simple pour Mackievicz d’imaginer qu’elle avait choisi de vivre avec Malcolm, Bowler ou n’importe quel passant.
— Qui est-ce ? avait-il demandé d’une voix obstinée.
Elle avait dû s’installer à l’hôtel le temps de rencontrer Malcolm, de lui arracher quelques centaines de dollars, avance sur un livre à écrire.
— Tu as lu les reportages d’Allen sur la Chine, demandait Malcolm, l’interview du communiste, ce Lee…
Malcolm parlait-il d’Allen parce qu’il croyait lui aussi qu’elle ne quittait Mackievicz que pour recommencer ?
— Quel Allen ? disait-elle.
Ils riaient.
— Tina, Tina, répétait Malcolm, tu nous rendras tous fous. Des femmes comme toi, qu’est-ce qu’elles attendent pour se changer en hommes ?
Malcolm l’accompagnait au bateau, montant à bord avec elle, s’asseyant sur la couchette.
— Et si… commençait-il.
Elle le poussait hors de la cabine.
— Ce livre, disait-elle, tu veux les confessions de Monsieur Adolf Hitler ? Celles de Hermann Goering te suffisent-elles ?
Elle était arrivée à Berlin au début du mois de mai 1934 et la ville, qu’elle ne connaissait pas, lui sembla immédiatement familière. Elle aima l’ampleur et la noblesse rigide des perspectives, les quais de la Spree dont les courbes brisaient l’alignement géométrique des quartiers du centre, la majesté austère de Unter den Linden. Elle loua un appartement de deux pièces proche du Tiergarten, Bellevue-Strasse. Ses fenêtres donnaient sur un jardin intérieur que couvrait presque entièrement un immense tilleul où venaient se poser des dizaines d’oiseaux qui la réveillaient chaque matin. Quel que soit le temps – et il y eut dans la première quinzaine de mai des coups de vent froid – elle allait marcher dans le Tiergarten. Elle écoutait les jardiniers qui s’interpellaient, elle observait des groupes d’enfants : il lui semblait qu’elle retrouvait son passé, cette langue allemande que son père avait parlé jusqu’à sa mort et dont Tina percevait toutes les nuances, langue de l’intimité familiale et de la tendresse.
Elle dut à plusieurs reprises se présenter au ministère des Affaires étrangères, Wilhelmstrasse et au ministère de la Guerre, Bendlertrasse. Elle voulait être accréditée auprès de ces deux puissances qui, disait-on à
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