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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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dangereux mais passionnant. Vous écrivez ce que vous voulez, vous nous envoyez ce que vous pouvez. Schuller vous défendra, croyez-moi !
    Allen avait fermé les yeux, posé la nuque sur le dossier du fauteuil. Il se souvenait. Sur le quai, avec Jim, ces bateaux qui partaient pour la Chine, celui du père, et le jour où Jim…
    — Quand ? demanda-t-il.
    — Demain, si vous voulez, dit Mervin. De toute manière vous ne pourrez pas apprendre le chinois avant de partir. Alors, le plus tôt sera le mieux.
    Quelques jours seulement entre ces salons de l’hôtel de New York et le pont d’un cargo mixte qui quittait San Francisco pour Shanghai, comme jadis le Gulf Stream I, le bateau du père. Il y avait du retard dans le chargement du cargo, des camions mal arrimés que les grutiers soulevaient à nouveau. Allen avait descendu en courant la passerelle, obtenu du bureau de douane le droit de téléphoner à New York. Tina Deutcher demandait à plusieurs reprises qui était au bout du fil et Allen Roy n’osait répondre, rappelait après que Tina eut raccroché.
    — Tina, disait-il après une nouvelle hésitation, vous ne voulez pas venir avec moi en Chine ?
    Il avait imaginé qu’elle allait rire, le traiter de fou. Elle se taisait seulement. Il entendait sa respiration malgré les variations de l’intensité sur la ligne, ces modulations aiguës comme des coups de vent.
    — Je ne peux pas, Allen, chuchotait-elle. Entre nous, comme cela, on se frôle, on se manque.
    Il s’insurgeait, commençait à lui dire qu’il suffisait de…
    — Je vous embrasse, Allen.
    Elle raccrochait.
    Pacifique : les mouettes accompagnaient, alors que toute terre avait déjà disparu à l’horizon, le sillage du navire comme une écume plus haute, projetée vers le ciel. Pacifique : la lente rotation des jours, la somnolence du temps. Allen Roy, assis à la proue, vent debout, incapable d’écrire ou de lire, seulement le balancement passé, présent, houles des souvenirs, désir de saisir à nouveau toute sa vie dans un livre unique qui dirait la mort du père et cette absence d’une femme, Tina Deutcher. La Chine enfin, comme un cauchemar qui déchire le sommeil.
    Shanghai était en paix, crevait en paix. Corruption, misère, purulentes. Il fallait plusieurs jours à Allen pour qu’il apprenne à voir les visages et non plus seulement la foule. Il quittait à la fin de la matinée l’hôtel America, dans le quartier des concessions, il se perdait, recherchait peut-être cette angoisse, mesure du dépaysement, quand il était le seul Européen sous les arcades d’une rue. Englouti. Des policiers se frayaient un passage jusqu’à lui, qui dépassait d’une tête la foule. Ils portaient à leur côté ce sabre courbe avec lequel ils avaient – les photos étaient accrochées aux murs du correspondant de l’agence Reuter – tranché les têtes à la volée, en pleine rue, les communistes agenouillés, mains liées dans le dos, le sang comme une tache sombre sur le cliché. Ils interpellaient Allen, ils criaient, le poussaient au milieu de la chaussée, bousculant les porteurs.
    Dans le commissariat, derrière une grille, appuyés à un mur de bambous, un groupe de prisonniers, les bras attachés à la hauteur du coude. Voleurs ? Communistes ? L’un tête nue, le visage rond, de longues mèches couvrant son front, défiait du regard les gardiens, souriant à Allen. Les autres le chapeau ou la casquette enfoncés jusqu’aux sourcils, les traits déformés par la peur. Devant eux, les observant sans haine, un bourreau, la lame courbe et nue, large, appuyée à l’épaule.
    Envie de vomir. Allen n’essayait même plus de répondre aux questions qu’un interprète traduisait. Il regardait ces hommes promis au tranchant de l’acier.
    « Vomir ». Le premier mot de l’article qu’avait publié le Boston Literature Guide parce que ce texte était trop violent pour le Herald. « Littéraire, expliquait Mervin à Schuller, trop écrit pour nous, trop subjectif. »
    « Vomir ». Le mot qu’Allen avait dit à ce père jésuite auquel l’avait conduit le correspondant de Reuter. « Cette violence, à nu, vomir, quand je les ai vus, ces prisonniers qu’on allait tuer…»
    Giulio Bertolini écoutait Allen. Il rencontrait presque toujours les journalistes qui passaient par Shanghai. On le savait informé, expert en secrets chinois. On murmurait dans les consulats qu’il était en relation avec l’armée

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