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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Il s’arrêta, observant les fantassins casqués qui assis dans les camions dont on avait roulé les bâches, se laissaient secouer par les cahots, leurs fusils tenus à deux mains par le canon et serré entre leurs genoux. Pas d’enthousiasme, pas de regard, le silence. Mais cela même entraînait Karl Menninger. Combattre et mourir sont affaires graves. Il voulait être l’un de ces hommes, rejoindre Père, enfin, s’élancer vers lui ainsi que Karl le faisait quand, au retour de Saint-Pétersbourg Ludwig Menninger apparaissait dans l’entrée de leur maison.
    Le convoi de camions était long. Il s’immobilisa, arrêté sans doute au carrefour de la Balanstrasse. Lentement, poussant son vélo par le guidon, Karl marcha près des camions, dévisageant les soldats, mais ils somnolaient. L’un d’eux, dans le dernier camion, avait enlevé son casque, et grattait sa nuque rasée d’un geste machinal. Il vit Karl, lui cligna de l’œil, fit avec l’index et le majeur le mouvement des deux lames d’un ciseau et lança : « On va te les couper aussi, profites-en, tant que tu les as ! » Karl rougit, prit une ruelle sur la droite, rejoignit enfin les bords de l’Isar. Brouillard, vent froid qui le repoussait comme une écume ; les arbres du Schwind, à l’extrémité de l’île au delà du pont Maximilien, commençaient d’apparaître. Il laissa son vélo, passa rive gauche, marcha sur le quai Luitpold désert, des pellicules de brouillard s’enroulant sur elles-mêmes comme des copeaux. « Aujourd’hui », répéta Karl, « aujourd’hui ». Il marcha plus vite parce qu’il craignait d’entendre la voix de sa mère : « Karl, Karl. »
    Karl Menninger se présenta à la Kornmandantur, Theatrinerstrasse, à la fin de la matinée. Le sergent qui le reçut avait la manche gauche de sa vareuse repliée sur le vide, attachée par une grosse épingle et portait sur la vareuse le ruban de la Croix de fer de première classe. Il regarda longuement Karl Menninger.
    — Tu n’es pas gras, dit enfin le sergent.
    Il inscrivit le nom sur la feuille d’engagement, interrogea sèchement Karl, puis le formulaire rempli, il ajouta :
    — Et là-bas, tu ne grossiras pas.
    Il poussa la feuille vers Karl.
    — Signe là.
    Il souffla sur la signature pour que l’encre sèche, regarda à nouveau Karl, hocha la tête.
    — Pas gras. – Il renifla passant le dos de sa main sur sa moustache. – Peut-être la guerre finira avant que tu maigrisses.
    D’un tiroir il sortit une boîte de métal. L’ouvrit, posa devant Karl Menninger dix billets.
    — Ta prime, dit-il, crois-moi garçon, dépense-la aujourd’hui. Qui sait ce qui arrive demain.
    Karl enfouit les billets dans sa poche. Il les froissa du bout des doigts. « Je l’ai fait, je l’ai fait », murmura-t-il. Il avait hâte de gagner la rue, de se perdre dans le quartier populeux qui entourait la Kommandantur. Boire comme un soldat dans les brasseries du Platz, à la Hofbräuhaus, frapper sa chope sur la table et scander les refrains, applaudir quand entrait sur la scène l’orchestre des femmes, traîner du côté de la Munstrasse et des rues de la nuit, frôler les femmes immobiles, les suivre dans l’un de ces hôtels dont, quand la porte s’ouvrait, on apercevait les longs couloirs, les escaliers étroits s’élevant dans une pénombre rouge.
    Sous le porche de la Kommandantur, un soldat, les mains derrière le dos, s’avança vers Karl. Il avait une moustache grise, un visage gonflé, il traînait ses bottes sur les pavés, la baïonnette noire accrochée bas sur le ceinturon se perdait dans la capote trop longue. La pluie mêlée de neige frappait les façades de la Theatrinerstrasse. Il faisait sombre, déjà.
    — Ça mouille, dit le soldat.
    Karl fit un pas pour s’éloigner. Il rêvait de raideur héroïque, de jeunes combattants ou d’officiers austères qui se dressaient dans les aubes sanglantes, la grenade à la main, dans la bouche la courte mèche, comme une fleur jaune, avec laquelle à quelques mètres de l’ennemi ils allumeraient l’explosif.
    — Toi, murmura le soldat, toi tu l’as fait, hein, tu t’y es jeté dans la merde, tout seul comme un con.
    Karl rassembla ses cheveux blonds, enfonça sa casquette.
    — Elle va être contente, ta mère, dit encore le soldat.
    Karl s’élança dans la rue comme s’il voulait s’y noyer. Il courut d’un auvent à l’autre, traversa les chaussées en évitant les

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