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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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disait-il, mais nécessaire ». Le médecin s’asseyait près de Menninger. Il rédigeait un constat de décès, ses lunettes glissant constamment, il s’interrompait après chaque mot pour les repousser. Quand il eut fini, il tendit son papier au commissaire, regarda distraitement Menninger.
    — Classique, dit-il, peu de choses à faire, c’est foudroyant.
    Un employé prenait la valise de Mennninger, le précédait vers le nouveau compartiment qui lui était affecté. Menninger s’arrêta, se tourna vers le commissaire.
    — Un musicien, n’est-ce pas ? Le commissaire se mit à rire :
    — Pas du tout, un importateur de textiles. Un polonais. Mais tous les juifs ont une tête de musicien.
    Les employés approuvèrent. Ludwig Menninger s’éloigna, cette envolée des violons, dans… Il chercha à se souvenir, puis vit le visage de son père, les derniers mois, quand Rudolf Menninger s’obstinait à vouloir se rendre à l’Opéra, malgré la neige. À Ludwig qui tentait de le convaincre de ne pas sortir, Rudolf répondait de cette voix qui devenait jour après jour plus sourde :
    — La musique, Ludwig, pour me préparer, la musique, c’est elle qui m’accompagnera quand l’heure viendra.
    Ludwig s’installa dans le nouveau compartiment. Il enleva lentement ses lunettes, cacha son visage dans ses mains et se mit à pleurer pensant que Karl Menninger n’avait jamais entendu son grand-père, qui la tête penchée accompagnait le docteur Khuner au violoncelle.

3

CONCERTO

1917

Karl Menninger marchait depuis le matin sur les quais de l’Isar, la rivière bouillonnait comme un torrent de montagne et à chacun des ponts, Karl s’arrêtait, s’accoudait au parapet, regardait les eaux brunes que les piliers fendaient tels une étrave. Branches mortes, troncs parfois un instant arrêtés. Karl se souvenait des étés à Kreuth quand, avec Inge, ils échappaient à la surveillance de leur mère, couraient vers la rivière, lançaient ce qu’ils appelaient un navire, planche ou caisse, essayaient de le suivre depuis la berge, jusqu’à ce que leur mère enfin les surprenne : « Inge, Inge, veux-tu rentrer et ramener Karl ici. » Ce matin, la même voix alors que Karl était déjà au bout du jardin. « Karl, Karl. » Greta Menninger sur le perron de la maison, les mains serrant ses épaules, les bras croisés sur sa poitrine dans cette attitude qu’elle avait prise depuis que la guerre avait commencé, que Ludwig Menninger était au front, quelque part au delà du Rhin, perdu entre les mots des communiqués.
    « 17 décembre 1917. Sur le front Ouest nos troupes ont partout amélioré leurs positions. Des attaques françaises dans la Somme ont été repoussées avec de lourdes pertes pour l’ennemi. Dans son bulletin quotidien le Grand État-Major Impérial souligne que notre supériorité, marquée par l’occupation de larges secteurs du territoire français, s’est affirmée aussi sur le front Est, l’armée russe désorganisée par les troubles révolutionnaires… La victoire totale, déclare le Grand État-Major Impérial, couronnera bientôt la glorieuse armée allemande et ses alliés…»
    — Karl ! Karl !
    Karl Menninger revenait à pas lents vers sa mère. Il enlevait sa casquette, coiffait ses cheveux d’un geste de la main, Inge apparaissait à son tour sur le seuil. Elle avait dû se lever très tôt, le visage déjà marqué par la fatigue, grande et frêle, sa robe de laine brune serrée à la taille par un ceinturon de soldat. Karl s’arrêtait à quelques pas de sa mère et de sa sœur. Leur angoisse lui était insupportable : il avait envie de se boucher les oreilles, de fuir en courant, de hurler, mais elles le tenaient dans leurs regards anxieux, il était contraint d’écouter leurs voix, et la manière dont elles essayaient l’une et l’autre de dissimuler leur peur le désespérait plus encore que si elles s’étaient précipitées vers lui, l’étreignant comme il l’espérait parfois, en larmes, et elles auraient dit : « Nous avons peur qu’ils les tuent, nous avons peur, Karl, dis-nous qu’ils vont revenir, ne pars pas, toi. » Mais elles se tenaient à distance, et il les admirait, pour l’effort qu’elles faisaient, pour le sourire de sa mère et la voix posée d’Inge.
    — Des lettres ce matin ? demandait Inge.
    Karl secouait la tête.
    — Le facteur n’est peut-être pas passé, murmurait Greta Menninger.
    Karl voyait sa mère

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