Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
ouverts, mourir s’il le fallait, mais parce qu’on a choisi de marcher avec les autres, sur la chaussée de la perspective Nevski, derrière les drapeaux, et non par hasard, alors qu’on regarde passer les cortèges.
    Quand Evguenia Spasskaia, au milieu de l’après-midi, décida malgré Boris – « laisse-la réfléchir, disait-il, qu’elle comprenne seule que j’ai raison » – de retrouver Anna afin de parler longuement avec elle, qu’elle vit l’oreiller et le lit creusé, la couverture froissée, cette marque du corps absent, elle n’entra même pas dans la chambre. Qu’avait-elle besoin de découvrir l’armoire ouverte ? Elle cria :
    — Macha, Macha.
    Macha montait rapidement l’escalier, tenant son tablier, expliquant essoufflée qu’elle avait vu Anna sortir par la porte de service, avec le manteau d’hiver.
    — Rien, pas de sac ? interrogeait Evguenia.
    Macha secouait la tête.
    — Rien, répétait-elle, rien, elle m’a embrassée, elle m’a dit : « Je vais très bien, Macha. »
    Evguenia entra dans la chambre de sa fille, s’assit sur le lit. Macha vint près d’elle, l’accueillit contre son épaule, se mit à la bercer.
    — Tout ça, murmurait-elle, tout ça, ça tourne la tête à tout le monde, à moi aussi, mais ça passera.
    Anna imaginait cette scène, elle marchait plus vite pour fuir la tentation du retour, le désir déjà des retrouvailles, sa mère contre elle et leurs larmes mêlées. Elle fredonnait les chansons révolutionnaires apprises au long des rues ; elle avait chaud et sur les quais de la Neva, elle ouvrit son manteau, riant des deux robes et du châle qu’elle portait, de ses vêtements accumulés sur elle qui la faisaient grosse comme une baba, ces vieilles femmes des quartiers pauvres, toutes rondes. Elle salua du poing les camions de soldats qui traversaient la ville, roulaient vers l’Institut Smolny, elle vit les mitrailleuses en batterie devant les grilles du jardin Alexandre. Le Palais d’Hiver était gardé par des femmes soldats, qu’Anna aperçut derrière les barricades et les sacs de sable qui fermaient toutes les entrées. Là était l’ennemi, le gouvernement de Kerenski le tiède qui voulait que la Révolution s’arrêtât. Et Kostia Loubanski avait cité Saint-Just, le Français : « Les révolutions qui ne vont pas jusqu’au bout creusent elles-mêmes leur tombeau. » Elle répétait, Anna Spasskaia, elle se mêlait aux groupes de soldats qui bivouaquaient sur les places et les rues. Ils avaient allumé de grands feux dont la fumée chargée de l’odeur de peinture des panneaux de bois qu’ils brûlaient s’accrochait aux façades avant d’être balayée par un coup de vent glacial. Les soldats écartaient les pans de leurs capotes fourrées, disaient aux femmes, provocants et timides :
    — Alors camarade, tu as froid, viens, viens.
    De leurs manteaux ils faisaient des ailes, qu’Anna Spasskaia évitait. Les soldats se bousculaient alors, se donnant de grands coups sur le dos, se rapprochant des femmes, expliquant qu’ils avaient abandonné l’armée de Kornilov pour se mettre au service de la Révolution, pour en finir avec Kerenski. Ils montraient leurs fusils :
    — La guerre, disaient-ils, ils nous l’ont apprise, ils vont le regretter.
    Anna, libre, emportée par ce souffle qui transformait Saint-Pétersbourg et balayait la Russie. Elle chantonnait, ses doigts se mettaient à vibrer comme si elle avait eu les touches devant elle. Elle courait derrière une automitrailleuse où s’agrippaient des marins qui lançaient des tracts. «  Comité de Défense Révolutionnaire de Saint-Pétersbourg… Le Soviet de Saint-Pétersbourg, les bataillons de Gardes Rouges, le Soviet des usines Ogirov… le Soviet des marins de l’escadre de la Baltique… Vive l’insurrection, vive la Révolution socialiste mondiale. » Les mots qu’Anna lisait mal parce que l’encre s’était étalée, liant les phrases entre elles, faisant ici et là des blocs noirs, les mots sonnaient cependant comme l’ouverture d’un opéra. Dans la cour du conservatoire des étudiants s’entraînaient au maniement d’armes, formaient une unité de Gardes Rouges. On refusa à Anna un fusil, et elle parcourut les couloirs enfumés, enjambant les corps des dormeurs étendus sur les parquets. Elle passa la nuit dans l’encoignure d’une porte, recroquevillée et au matin elle but du café brûlant dans un gobelet que des soldats se

Weitere Kostenlose Bücher