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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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News, présentait comme un soulèvement paysan, telles ces jacqueries que l’Europe avait connues au Moyen Âge et que le Matin de Shanghai qualifiait de révolte anarchiste conduite par quelques exaltés à la solde des Allemands. La guerre navale rendait difficiles les communications avec l’Europe. Le quartier des concessions européennes s’était replié sur lui-même depuis 1914, mince frange de bâtiments orgueilleux, comme un ourlet de terre coincé entre deux mers.
    Giulio, chaque matin, accoudé à la fenêtre de sa chambre, au dernier étage de l’immeuble de la mission, guettait l’aube. Il avait travaillé plusieurs heures déjà quand les sampans et les jonques gagnaient le large, poussés par la brise de terre, glissant sur le miroitement d’écailles de la mer. La ville, Giulio Bertolini la sentait derrière lui, boursouflée comme la surface d’un marécage. Il aimait à la parcourir, malgré les conseils de prudence qu’on lui prodiguait, à la Mission, dans les salons des consulats. Mais en douze ans déjà de Chine, Bertolini avait appris à connaître ce peuple-océan. Il en avait étudié l’histoire, les mœurs et la langue. Il avait remonté le Yang-Tse-kiang, séjournant près d’une année dans un village, pratiquant dans les collines dénudées, où le sol avait la couleur bistre que prend le ciel les jours d’orage, des fouilles au cours desquelles il avait dégagé une nécropole du XII e  siècle avant Jésus-Christ, et au-dessous, encore plus profond dans l’histoire de la terre, des squelettes des premiers âges de l’homme, difficiles à dater, hommes lointains émergeant comme des frères oubliés.
    Giulio Bertolini se souvenait de cet instant, au fond de l’un de ces tunnels qu’il avait fait creuser dans la colline, utilisant la main-d’œuvre locale, paysans sans terre qui venaient chaque matin solliciter du travail, demeuraient accroupis, assis sur leurs talons, ne quittant la colline qu’au moment où Giulio Bertolini avait déjà plusieurs fois répété qu’il n’avait plus besoin d’hommes. Giulio les regardait s’éloigner de leur démarche lente et réfléchie comme si, économes de leur force, ils calculaient instinctivement chaque pas. Souvent l’un d’eux se retournait, peut-être celui qui avait le plus faim, espérant encore un appel, un remords de Giulio Bertolini, cet étranger à tête ronde qui possédait assez de richesses pour creuser la terre au lieu de la cultiver.
    Giulio, ce matin-là, avait levé la main, et le dernier de la colonne, un enfant d’une douzaine d’années, était revenu vers lui en courant, mais sans le désordre ou la hâte qu’ont souvent les enfants européens. Course mesurée, sobre, la tête, les épaules, les bras restant figés, le souffle même retenu et quand l’enfant fut devant Giulio Bertolini, celui-ci vit sa poitrine maigre, les côtes apparentes sous la peau brune, soulevées par le battement de l’effort mais la respiration demeurait silencieuse, les lèvres jointes. Giulio Bertolini força l’enfant à s’asseoir près de lui, l’interrogea, apprit qu’il se nommait Lee Lou Ching, fils de Wang, paysan de Wushi, qu’il avait des sœurs, Ho, l’aînée, mariée, perdue, et le père, un jour que les troupes traversaient le village en route vers le nord, avait été enrôlé avec tous les hommes valides.
    Une casquette, une vareuse, des bandes molletières, une charge à porter et Wang, père de Lee Lou Ching, est devenu soldat au service du général You Tang Pè. Lee Lou Ching a suivi un temps les troupes avec d’autres enfants du village, les officiers les dispersaient comme on le fait des oiseaux à l’aide de quelques coups de fusil, mais Lee Lou Ching s’était obstiné jusqu’à ce que les combats commencent, que les troupes s’égaillent, les uns continuant vers le nord pour soutenir le nouvel Empereur de Chine, un général, les autres constituant des bandes de pillards dont les chefs se faisaient appeler Roi d’une province.
    Lee Lou Ching avait perdu la trace de son père et il avait tenté de retrouver son village, non loin du fleuve, se souvenant de son seul bien, ce cadeau qu’il avait enterré, protégé par des chiffons, présent reçu un jour d’un étranger. S’il le retrouvait, Lee deviendrait riche, il achèterait de la terre, rassemblerait ses sœurs, et quand le père reviendrait, sur la natte étendue seraient posés les bols de riz tiède et les baguettes. Mais

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