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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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étouffante.
    — Tu vas fondre, dit Spasskaief.
    Il jeta ses moufles sur la table, ouvrit largement son manteau et secoua sa chapka que la neige recouvrait.
    — Pour vous, Monsieur l’ingénieur, dit le vieux Machkine.
    Lire le télégramme, savoir. Spasskaief refusa la hâte. Prendre son temps. Il donna une tape amicale sur l’épaule de Machkine.
    — Tu regrettes la forge ? demanda-t-il en clignant de l’œil.
    Quand Spasskaief avait pris la direction de la fabrication des pièces lourdes de l’usine Ogirov, il avait remarqué Machkine avec sa peau recuite par le rayonnement de la traînée blanche du métal en fusion. Machkine, depuis des années, affrontait les creusets et les fours. Il avait encore le geste rapide qui permet d’une seule rotation de la barre de renverser le creuset, de faire couler le métal dans une gerbe incandescente le long des rigoles de sable réfractaire. Il fallait sauter comme un danseur, repousser le creuset vide, prendre le ringard et plonger cette tige toujours brûlante dans le four, attiser le feu, tirer vers soi un autre creuset, bondir avec le ventre à la flamme et le dos dans les courants d’air froid qui balayaient les hangars de la fonderie. Spasskaief passait vite pour ne pas voir ces hommes rouges dans les reflets du foyer et du métal mais il n’oubliait pas Machkine, son visage gonflé par la fatigue, la sueur du harassement couvrant le front.
    Le soir, chez lui, quand Spasskaief fumait, la nuque posée sur le dossier du fauteuil, les yeux suivant les spirales grises de la fumée jusqu’aux voussures du plafond, il revoyait la forge, Machkine trop vieux pour continuer longtemps à danser devant les fours. Borissov le contremaître devait parfois saisir Machkine par le bras. « Tu veux en boire ! » hurlait-il. Il éloignait brutalement Machkine de la coulée de métal en fusion. Une vingtaine d’accidents par mois à l’usine et bientôt Machkine.
    — Tu penses à ton ouvrier ? demandait Evguenia à Boris.
    Elle était à demi allongée près de son mari, une couverture sur les genoux. Depuis qu’elle était enceinte, sa voix changeait, plus grave, presque sourde, redoublée par un écho venu de loin.
    — Ta voix est noire, disait Boris, comme tes cheveux.
    Il étendait la main, la glissait sous l’aisselle d’Evguenia, effleurait le sein plus lourd depuis quelques semaines. Il ajoutait seulement.
    — Voix noire, peau blanche, soie noire, soie blanche.
    Il caressait le velours du fauteuil, les doigts légèrement relevés, tendus, Evguenia baissait la tête.
    — Tu vas le déplacer ? demandait-elle.
    Evguenia obstinée qui, quelques semaines plus tard, s’asseyait en face de l’ingénieur en chef, Ludwig Menninger, un Allemand qui chaque année, à la mi-décembre, quittait la Russie pour un mois, confiant à Spasskaief la direction technique de l’usine et un dîner d’adieu réunissait les ingénieurs chez Spasskaief, Menninger vivant seul à Saint-Pétersbourg.
    — Vous craignez que nous ne transformions Madame Menninger en une petite paysanne russe, avec un fichu sur la tête ? demandait Evguenia. Vous avez peur de nous, Monsieur Menninger ? Vous croyez que nous sommes encore des barbares, n’est-ce pas ?
    Menninger faisait un geste de dénégation, bougeant à peine la tête, le corps demeurant raide comme s’il avait voulu, par cette attitude, sa manière de se vêtir – redingote noire, col cassé, lunettes aux montures d’argent – affirmer jusqu’à la caricature son appartenance à la civilisation germanique.
    — Madame Spasskaief, commençait-il, en s’inclinant, comment…
    — Si je vous demandais, disait Evguenia, Boris voudrait…
    Elle se tournait vers son mari, qui, debout, bavardait avec Kalougine, l’un des jeunes ingénieurs chargés des études de matériaux. Evguenia baissait la voix :
    — Un ouvrier de la forge, un homme très vieux, Monsieur Menninger, si fatigué…
    Menninger souriait ironiquement :
    — Vous vous occupez de cela aussi, Madame Spasskaief ? Vous autres, Russes, vous avez toujours un moujik à protéger, l’un de vos serfs ?
    — Le gardien quitte l’usine, continuait Evguenia, si…
    Menninger se faisait paternel :
    — Que Spasskaief fasse ce qu’il veut, il dirige. Mais ce sont là des problèmes que règlent les contremaîtres.
    Evguenia riait :
    — Ne nous présenterez-vous jamais Madame Menninger ?
    — Vous-même – Menninger toussotait, reprenait. Il

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