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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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L’officier le regardait avec surprise. Il avait cessé de se balancer, et ce n’est qu’au moment où Allen reprenait son souffle qu’il avait réagi.
    — Ça va, ça va, dit-il, au moins tu sais parler.
    La visite médicale fut positive, l’engagement signé. Chambrée, exercice au sifflet, rassemblement, odeur du réfectoire, de l’uniforme, irritation de la peau contre la toile rêche des vareuses. Au mois d’avril 1917, le contre-amiral commandant l’arsenal fit ranger les jeunes recrues dans la cour autour du mât. Une estrade avait été dressée, au centre du carré que formaient les compagnies. Allen, l’un des grands, se trouvait au premier rang, au bout d’une file. Le vent faisait claquer par instant le drapeau, sèchement, et soulevait le col des marins sur leur nuque. Le contre-amiral tenait le communiqué à deux mains, lut – mais il parlait bas et les mots furent à plusieurs reprises étouffés par le vent – la déclaration du Président des États-Unis annonçant l’entrée en guerre du pays contre l’Allemagne. «  La défense des principes du droit et des idéaux fondateurs des États-Unis d’Amérique…» Défilé devant l’estrade, vie à l’arsenal qui reprenait inchangée, puis quelques semaines plus tard, Allen Roy Gallway embarquait à bord du croiseur Oregon, comme fusilier marin.
    Dans son sac de jute marqué à son matricule, 070132, ses premiers livres et un carnet à couverture cartonnée aux pages quadrillées.
    L’ Oregon, après quelques essais de machine au large de San Francisco, gagna le sud, emprunta le canal de Panama : mission diplomatique, croisière de surveillance et d’intimidation. Il devait arraisonner dans les eaux internationales à l’ouest de l’Amérique latine les navires qui sous pavillon neutre naviguaient au service de l’Allemagne. Il visiterait les grands ports du Brésil et de l’Argentine pour réaffirmer la solidarité américaine. Voyage sans danger, la flotte allemande était désormais enfermée dans la mer du Nord. Il suffisait donc d’affronter l’Océan. Allen Roy Gallway apprit ainsi la houle pacifique, les eaux douces et verdâtres qui portent au grand large l’odeur de la forêt. Les corvées terminées, il glissait son carnet sous sa vareuse, s’installait dans la tourelle avant. Un trou de visée lui permettait d’apercevoir les bancs de nuages rouges qui sillonnaient l’horizon à l’aube et au crépuscule. Il posait son carnet sur une caisse d’obus, taillait minutieusement son crayon, prenait ainsi le temps d’oublier le lieu, d’effacer les bruits, la vibration de la coque ou le grincement d’un monte-charge, la sonnerie du quart. Il commençait à écrire, racontant le destin d’un homme, John l’avait-il nommé, marin qui découvrait au milieu du Pacifique une terre ignorée. Les hommes et les femmes qui y vivaient étaient bons et naïfs. L’homme devint leur roi, épousa la plus belle des jeunes filles, eut deux fils, qu’il prénomma Jim et Allen. L’un d’eux mourut, puis le père fut emporté par un raz de marée qui ravagea l’île, laissa seul Allen, un enfant encore dont on ignorait s’il survivrait.
    Quand l’ Oregon jeta l’ancre dans le Rio de la Plata, Allen était parvenu à la fin du carnet. Il devait achever son récit. Il commença la dernière phrase : « John avait-il réussi alors que le raz de marée l’entraînait à s’accrocher à un tronc d’arbre…» Coup de sifflet du rassemblement des fusiliers marins, tenue de sortie, le commandant désigne Allen pour le piquet d’honneur à l’ambassade des États-Unis. On embarque sur la grande chaloupe, il faut tenir son calot cependant que se dégage de la brume cette ville plate et longue de Buenos Aires, que le vent debout fait battre la proue de l’embarcation, le moteur quelquefois tournant à vide sur la crête d’une courte lame. Mal de mer pour la première fois depuis le départ de San Francisco alors que l’ Oregon avait dû affronter peu avant d’entrer dans les eaux du Rio de la Plata, une bourrasque, la mer drossée contre la coque en vagues désordonnées, mais Allen n’avait ressenti aucun malaise, se laissant aller au gré du roulis, continuant d’écrire, racontant précisément ce raz de marée qui ravageait l’île imaginaire de son récit. Dans la chaloupe qui touchait terre, il avait la nausée, fin du récit, rupture des habitudes prises à bord de l’ Oregon, retrouvailles avec le sol, les

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