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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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ferme ta gueule. Tu tireras tes cinq ans sans douleur, sinon… T’es déjà assez con pour venir ici, une connerie ça suffit, non ? »
    Connerie : souvent durant ces semaines de navigation, San Francisco, le Canal de Panama – cette moiteur qui donnait la sensation que la peau était couverte d’une pellicule de moisissure – Bahia, quand la houle rythmait les souvenirs, Allen Roy Gallway allongé dans le poste d’équipage ou bien calé contre une caisse d’obus dans l’une des tourelles avant, à l’abri de l’inspection d’un second-maître, réfléchissait à cette décision qu’il avait prise un matin de franchir le poste de garde de l’Arsenal de San Francisco. « Engagement », avait-il dit. Geste du bras du sous-officier pour désigner de l’autre côté de la cour un bâtiment.
    Dans le soleil, des recrues apprenaient le maniement d’armes, claquant le talon en posant la crosse du fusil sur l’épaule, pantins à visage d’hommes. Longtemps Allen Roy les avait observés. Il avait choisi de devenir pour cinq années l’un d’eux, sans illusion, parce qu’il lui fallait fuir San Francisco, la blanchisserie Petersen où il travaillait depuis quatre ans, enfournant le bois et le charbon dans les chaudières, poussant les chariots chargés de linge sale vers les bassins où bouillonnait la lessive. Buée, odeur, le corps que la fatigue et la chaleur décomposaient. Au moment de la pause, il retrouvait sa mère, assise sur le sol comme les autres femmes, des Noires, des Italiennes. Elles portaient seulement une blouse sur leur peau, elles riaient en voyant Allen Roy. Les plus jeunes lui saisissaient le bras, le tirant vers elles, le collant contre leurs corps. « Il est tout frais, ton fils », disaient-elles à Magrit Gallway. Allen avait honte. Il restait debout face à sa mère, trop lasse pour parler. Elle lui tendait une boule de viande hachée, une pomme. Il mangeait vite pour la quitter, s’installer avant que la sirène ne retentisse sur l’un des murs de la cour. Là, à califourchon, il voyait la rue, au loin la rade et l’horizon et il lisait. Après la mort de Jim – durant les semaines où Magrit Gallway semblait ne plus jamais devoir parler, les mots se chevauchant, quand les voisines, Tina et Elisabeth, s’étaient occupées d’Allen Roy – le docteur Allenby était venu plusieurs fois. Plus tard, Magrit avait retrouvé l’ordre des mots, elle avait recommencé à travailler à la blanchisserie Petersen, mais le docteur Allenby avait continué de passer les voir une ou deux fois par mois. Il ne demandait plus des nouvelles de John Gallway. La mort de son fils avait coupé l’amarre qui retenait John à San Francisco. Quand il avait débarqué, trois mois après l’accident, qu’il avait vu Magrit vieillie et qu’il avait appris par les voisines comment, sur le quai, cette charge qui se balançait à bout de chaîne avait jeté à terre Jim, John avait laissé la paye sur la table, son sac dans l’entrée. « Viens avec moi, toi », avait-il dit à Allen Roy. Il lui tenait la main serrée, il marchait vite vers les docks. « Tu te souviens, dis, où c’était ? » Allen pleurait. Il essayait de dégager sa main, il avait mal à l’aine parce que l’allure était trop rapide, mais John répétait sans ralentir : « Tu vas retrouver, hein ? » Ils étaient arrivés sur le quai. Allen continuait de pleurer, désignant la grue, montrant le sol, « là, disait-il, là papa ». John avait lâché la main, l’avait pris aux épaules : « Tu connais le chemin, tu sais rentrer ? » Allen secouait la tête, sanglotait, « non, non » murmurait-il. John l’avait tourné de force : « Tu vas trouver, avait-il crié, tu vas trouver et si tu te perds, tant pis pour toi, file. » Il lui avait donné un coup de pied et Allen Roy s’était mis à courir. Quand il s’était arrêté au delà des grilles des docks, il avait aperçu son père qui gesticulait au pied de la grue.
    John Gallway était rentré le matin, le visage tuméfié, les yeux comme des fentes, Allen l’avait vu le premier, agenouillé devant la fontaine de la rue, plaçant sa nuque sous le filet d’eau, s’ébrouant, raclant avec les ongles le sang qui avait séché autour de ses lèvres, Allen avait couru dans l’escalier, appelant sa mère. Ils s’étaient tous deux avancés sur le palier, John Gallway les écartant du bras, reprenant son sac de marin.
    Il n’était plus

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