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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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odeurs d’une ville, les visages inconnus et le corps des femmes. Allen entrait derrière le commandant et l’officier chargé du détachement dans le bâtiment de l’ambassade. On lui désignait l’emplacement auquel il devait se tenir, au pied de l’escalier, les mains dans le dos, les talons légèrement écartés, la tête immobile, la jugulaire collant au menton. Les invités peu après passaient entre les deux rangées de marins, parfois un regard sur eux, un sourire qui frôlait Allen, celui de cette jeune fille brune au visage massif des Indiennes, les cheveux coiffés en chignon, une robe blanche à col très haut qui la forçait à soulever la tête et accusait la couleur brune de sa peau mate. Un homme âgé, des favoris touffus couvrant les mâchoires, le crâne chauve, lui donnait le bras. Il était plus petit qu’elle, lui parlait en se tenant sur la pointe des pieds. Ils s’arrêtèrent au bas des marches, non loin d’Allen, l’ambassadeur présentant au commandant de l’ Oregon ses invités : « Maître Trevijano, disait-il, Dolorès Bertolini, l’une des plus distinguées élèves du collège de l’Assumption de Buenos Aires, le collège castillan. » Le commandant s’inclinait laissant ainsi Allen apercevoir le profil de Dolorès, le nez légèrement busqué, la pommette forte. « Fiancée à mon premier secrétaire », dit l’ambassadeur. Il se retournait, invitait un jeune homme au visage osseux à descendre l’escalier, « James Clerkwood », entendit Allen. Il se sentit osciller. L’uniforme, les guêtres surtout le serraient, il eut peur de tomber d’un seul bloc ainsi que l’avait fait un marin, un après-midi dans la cour de l’arsenal de San Francisco, lors d’une revue. Il imagina que sa tête heurterait la marche de marbre de l’escalier, qu’il allait comme Jim avoir le front zébré. Allen se raidit mais la musique tout à coup, venue des salons du premier étage, et l’émotion qu’il avait retenue durant toutes ces semaines de navigation alors qu’il écrivait la vie d’un homme qui était le double héroïque de son père, déferlait, vague haute, portant le corps de Jim et celui de leur mère, ravivant l’absence de John Gallway. Allen se mordit la lèvre, enfonça ses ongles dans ses paumes, se répéta qu’il devait pousser une porte, comme le lui avait dit le docteur Allenby, pousser jusqu’à ce qu’elle s’ouvre. Il voulut desserrer la jugulaire. Il sentit que sa nuque et son front se couvraient d’une sueur glacée. Il s’évanouit, tombant lourdement sur le tapis au moment où les violons recouvrent d’un élan de vie les notes du piano.
    Du haut des marches, Dolorès Bertolini vit l’un des marins, le plus grand, celui qui se trouvait au pied de l’escalier, faire un pas en avant, puis – et la surprise de Dolorès était si vive qu’elle ne put retenir un cri – il sembla s’agenouiller, restant quelques secondes assis sur les talons avant de s’affaisser, basculant sur le côté, les jambes repliées, le corps en travers du hall, comme s’il dormait. Dolorès dut s’appuyer à la rampe. Les domestiques s’affairaient, James Clerkwood l’avait rassurée d’une pression sur le poignet avant de descendre dans le hall. Dolorès le vit qui ouvrait une porte, indiquait aux domestiques le divan où ils allaient coucher le marin. Elle apercevait les cheveux blonds, rasés, de l’Américain, des yeux clos, un cou brun sous la vareuse dégrafée. Il lui semblait qu’elle avait vécu cette scène, qu’elle était ce corps qu’on portait en le soutenant aux aisselles et quand James Clerkwood revint près d’elle, qu’il lui dit « la chaleur. Ce n’est rien, il s’est remis déjà, voulez-vous que nous retournions au salon ? » elle refusa, s’agrippant à la rampe comme si elle avait eu besoin de cet appui, du froid du métal pour demeurer debout. Elle respira profondément, essaya de sourire.
    — Vous êtes très émotive, murmura Clerkwood.
    Il lui prenait le bras, l’obligeait à traverser le salon, à s’installer sur l’une des terrasses qu’éclairaient de grands chandeliers de cuivre. Les baies vitrées qui donnaient sur les salons étaient entrebâillées. Rumeur des voix dès que la musique s’interrompait, comme le ressac qu’on entend seulement quand le vent ne le masque pas. Au loin, sur le Rio de la Plata, dans la brume de la nuit, clignotaient des points de couleur, feux de position des barcasses de

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