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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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revenu.
    Tant qu’il avait vécu, le docteur Allenby avait aidé Magrit et Allen Roy Gallway. Il laissait quelques dollars, donnait des livres à Allen. Il obtenait du directeur de la blanchisserie Petersen qu’on embauche Allen, qu’on garde sa mère. Parfois, il demandait à Allen de l’accompagner jusqu’à son cabinet. Il faisait asseoir Allen dans l’un des fauteuils de cuir du salon, il le regardait longuement : « Toi, disait-il, ce que tu veux, tu pourras le faire. Écoute-moi bien. » Il se levait, allait jusqu’à la porte, faisait mine de la pousser de l’épaule. « Elle résiste tu vois, mais si tu insistes, tu l’enfonceras, seulement la plupart des gens hésitent, ils se fatiguent, ils ne poussent pas assez longtemps. Ce n’est pas la porte qui est forte, Allen, ce sont eux qui sont faibles. Tu comprends, garçon ? »
    Il se rasseyait en face d’Allen. « Bats-toi, garçon, pousse, pousse jusqu’à ce que ça s’ouvre. Tiens – il donnait à Allen une pièce, puis au moment où Allen allait la glisser dans sa poche, le docteur Allenby la lui reprenait, choisissait un livre dans sa bibliothèque – si tu le lis, si tu es capable de me raconter ce qu’on y dit, si tu peux me réciter deux ou trois passages, tu auras ta pièce, deux même. » Il plaçait le livre sous l’aisselle d’Allen : « File, garçon. » Il tenait ses promesses, doublait même la mise parce que Allen savait le surprendre, récitant sans s’interrompre deux ou trois pages d’affilée. Il posait le livre devant le docteur Allenby, disait d’une voix forte : « Je commence, Monsieur, à la page 1. » Allen, de voir le sourire du docteur, de sentir sa joie, se croyait capable de toutes les prouesses. Il eût voulu réciter le livre entier, s’essayait à dépasser ce qu’il avait appris, citant d’autres passages, lus, dévorés plutôt, et qu’il croyait avoir retenus. Mais il hésitait, s’interrompait, baissait la tête. Le docteur Allenby riait. « Très bien, disait-il, trop bien. » Il caressait la nuque d’Allen, lui donnait plusieurs pièces et lui tendait un autre livre. « Reviens quand tu voudras. » Allen n’osait pas reparaître trop vite. Il laissait passer quelques jours alors que, le plus souvent, il avait lu le livre le soir même et pouvait en réciter le début le lendemain.
    Un matin où il passait devant le cabinet du docteur Allenby, espérant le rencontrer et raccourcir ainsi le délai, il vit des employés qui plaçaient sur les montants de la porte la tenture noire du deuil. Le docteur Allenby était mort, puis la mère à la fin de l’année 1916, quand le froid fut si intense même en Californie. Horreur de ces semaines-là, des pluies glacées qui transformaient les rues en torrent boueux, du travail dans la chaufferie de la blanchisserie Petersen parce que l’eau s’infiltrait dans les cheminées, éteignait les foyers qu’il fallait dégager, charger à nouveau, la fumée retombant, refoulée dans la chaufferie. Les yeux brûlaient, le bord des paupières gonflé donnant la sensation d’avoir toujours un grain de poussière qui irritait la pupille. Horreur du soir et de la nuit quand il fallait regagner la maison vide, la pluie ruisselant sur le visage, s’infiltrant dans le cou, l’impossibilité de lire, les souvenirs alors, Jim sur les docks et père qui voulait savoir où il était tombé. Cauchemars.
    L’une des ouvrières de la blanchisserie prenait un soir le bras d’Allen : « Mais qui s’occupe de toi, personne, tu manges chaud ? Jamais je parie, viens, viens. » Il la laissait le conduire, payer le tramway qui faisait jaillir des gerbes de boue de part et d’autre de la rue. Elle le précédait dans le couloir d’une maison du quartier chinois. Tout en préparant le repas, elle chantonnait, et quand elle passait près d’Allen, elle lui caressait la joue de sa main rougie par l’acide des lessives.
    Elle resta debout près de lui cependant qu’il mangeait, hochant la tête.
    — T’es fort pour seize ans, répétait-elle.
    Elle buvait la bière à même la bouteille, levant la tête, montrant ainsi sa poitrine qu’elle avait lourde.
    — T’avais faim, disait-elle. Bois, bois.
    Comme il hésitait, elle dit en tendant la bouteille :
    — Je suis pas malade, tu sais.
    Maintenant elle était derrière lui et lui tenait le front à deux mains, l’obligeant à laisser aller sa tête en arrière, à l’appuyer entre ses deux

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