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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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le lit dans la pièce du fond. Il percevait à peine la rumeur des voitures qui roulaient rue de Tournon, ralentissaient au coin de la rue de Vaugirard, il ne sentait plus près de lui le corps tiède d’une femme, n’entendait plus sa respiration. L’appartement, coquille vide, était tout à coup froid. Il se levait, allumait une nouvelle rangée de brûleurs dans le radiateur à gaz, buvait une tasse de café dans la cuisine, essayait de lire, puis incapable de demeurer là, il regagnait sa chambre dans l’appartement de ses parents, rue Médicis, ou bien il s’installait dans le café de la rue Saint-Guillaume, premier client. Toutes ces femmes qu’il ne connaissait que quelques semaines, avec qui il parlait peu, les observant cependant qu’elles racontaient la bouche pleine ce qu’avait été leur vie, ce qu’elles désiraient, « plus tard, pas trop tard, je veux deux enfants, parce que…» qu’elles s’interrompaient pour dire « c’est un bon restaurant », ces vendeuses, ces infirmières, Florence la seule étudiante, celle avec qui il avait cru pouvoir se marier.
    Elle était venue rue de Médicis, timide, elle posait son manchon de fourrure sur la console dans le hall, et la mère de Serge, cérémonieuse, s’effaçait pour la laisser entrer dans le salon : « Je suis très émue, disait Lucia Cordelier, vous êtes la première jeune fille que Serge me présente, cela veut dire que je suis déjà une vieille maman. » Papotage de cinq à sept, un jeudi, les questions de Lucia : « vous comptez vraiment poursuivre vos études ? Mais pourquoi, mon Dieu, votre père…» Jean Cordelier était rentré d’une séance à l’Institut, « votre père, disait-il aussi, Carbonnet ? Léon Carbonnet, le juriste ? Mais je le connais fort bien ». Florence qui refusait de monter rue de Tournon. Serge le lui avait-il proposé ? Il ne savait plus. Peut-être avait-il dit simplement, un soir en la raccompagnant, « j’ai un appartement là, deux pièces pour travailler, je…», Florence l’avait regardé avec cette franchise qu’il aimait. « Elle est charmante », avait dit Lucia Cordelier, « quel âge a-t-elle ? Elle n’a pas de hanche, pas de poitrine, elle est sympathique mais pour moi, ce n’est pas une femme, d’ailleurs on dit que les études pour les femmes, c’est très mauvais, elles ne peuvent plus avoir d’enfant. »
    Était-ce ces phrases ou l’appartenance de Florence au milieu que Serge Cordelier connaissait trop bien, celui de Masseron, de Jacquet, de Tournier – et Serge imaginait déjà le professeur Léon Carbonnet, entrant dans le salon, rejoignant les habitués, Jean Cordelier faisant les présentations « le beau-père de mon fils » – qui avaient mis fin aux relations de Florence et de Serge, ou bien… Surprenante la mémoire, que de labyrinthes en elle, d’instants enfouis qu’un événement remet à jour et le moment oublié, brusquement devient la pièce essentielle, celle qui fait comprendre tout le passé, mais il a fallu le hasard pour qu’elle dévoile, que l’alphabet incompréhensible de notre vie, livre un secret. Ou bien… La scène redevenait claire pour Serge. Ce devait être au mois de mars 1920, peu de temps avant qu’il ne reçoive sa feuille de route. Tournier avait assuré qu’il ne serait convoqué à son régiment qu’après la session des examens. « Vous serez licencié en droit, vous ferez votre peloton d’officier, vous parlez l’allemand, si cela vous intéresse je vous fais désigner pour l’une de nos commissions, Mayence ou Düsseldorf », avait précisé Tournier. Entre Florence et Serge, comme souvent quand les ruptures se préparent, tout paraissait aller bien. Ils se voyaient souvent. Serge avait déjeuné chez les Carbonnet : « L’agrégation de droit, expliquait Léon Carbonnet, personnellement voilà ce que je vous conseille. Le Quai d’Orsay, la carrière, il faut plaire. Êtes-vous prêt à jouer les courtisans, les mondains. Florence, si elle devenait votre femme, je ne l’imagine pas passant ses soirées à sourire et à présenter sa main, afin qu’on la lui baise, non, jeune homme, j’ai voulu que ma fille soit un esprit, accepterais-tu, Florence, de devenir une potiche d’apparat ? » Florence regardait sa mère sans répondre à son père. Madame Colette Carbonnet, timide, lourde, les cheveux gris, disait à voix basse : « Ne croyez-vous pas, cher ami, qu’il est prématuré de

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