Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
le
grand électeur de Brandebourg, Lavisse, fait observer avec raison
que : « ce prince eut l’heureuse fortune,
qu’en
repeuplant ses États dévastés
,
c’est-à-dire en servant ses
plus pressants intérêts
, il s’acquit la renommée, d’un prince
hospitalier, protecteur des persécutés et défenseur de la liberté
de conscience. »
Mais tous les émigrants n’arrivaient pas sans
argent, tant s’en faut, l’argent affluait en Hollande et en
Angleterre à la suite de la révocation, et bien que les plus riches
eussent cherché asile en Hollande, l’ambassadeur de Louis XIV en
Angleterre, écrivait en 1687 que la Monnaie de Londres avait déjà
fondu neuf cent soixante mille louis d’or. – Suivant un auteur
allemand, deux mille huguenots de Metz s’étaient enfuis dans le
Brandebourg en emportant plus de sept millions. Suivant le maréchal
de Vauban, dès 1689, l’émigration des capitaux s’élevait au chiffre
de soixante millions et Jurieu estimait que, en moyenne, chaque
réfugié avait emporté deux cents écus.
Le gouvernement de Louis XIV avait pourtant
fait l’impossible, pour arrêter cette émigration des capitaux.
Les huguenots parents ou amis des fugitifs,
dissimulant leur sortie du royaume, leur faisaient parvenir à
l’étranger les revenus de leurs biens, mis à l’abri de la
confiscation par cette dissimulation, et pour lesquels ils
s’étaient fait consentir des baux fictifs. On fit appel aux
délateurs, et la moitié de la fortune laissée par les fugitifs, fut
attribuée à celui qui signalait leur évasion. Des fugitifs ayant,
avant leur départ, confié leur fortune à des amis catholiques qui
l’avaient prise sous leur nom ; une ordonnance accorda aux
délateurs de ces biens recélés, la moitié des meubles et dix ans
des revenus des immeubles.
Puis on intéressa les parents à la ruine des
fugitifs, en les envoyant en possession des biens de ceux-ci, comme
s’ils fussent morts intestats. Beaucoup d’entre eux cependant
continuèrent à ne se regarder que comme de simples mandataires, et
à faire parvenir aux réfugiés le montant de leurs revenus ; on
les surveillait, et, du moindre soupçon, on les menaçait de leur
retirer la jouissance des biens dont ils avaient été envoyés en
possession. – Cependant Marikofer et Weiss constatent qu’en Suisse
et dans le Brandebourg, un grand nombre de réfugiés recevaient,
sous forme d’envois de vins, soit leurs revenus, soit les valeurs
qu’ils avaient déposées en mains sûres avant de partir.
Les fugitifs, avant de quitter la France,
vendaient à vil prix leurs immeubles ou consentaient des baux
onéreux, afin de se faire de l’argent. Pour les empêcher de pouvoir
en agir ainsi le roi décrète : « Déclarons nuls tous
contrats de vente et autres dispositions que nos sujets de la
religion prétendue réformée, pourraient faire de leurs immeubles,
un an avant leur retraite du royaume.
»
Pour éluder cette loi il fallait trouver un
acheteur consentant à antidater l’acte de vente à lui consenti par
un fugitif, moins d’un an avant sa sortie du royaume. Cela se
trouvait encore, à des conditions onéreuses naturellement, puisque
l’acheteur courait risque, si la fraude était découverte, de voir
confisquer les biens qui lui avaient été vendus.
Pour porter remède au mal, une loi interdit à
quiconque a été protestant ou est né de parents protestants de
vendre ses biens immeubles, et même
l’universalité de ses
meubles et effets nobiliaires sans permission
, et cette
interdiction de vente fut renouvelée tous les trois ans jusqu’en
1778.
Voici, d’après une pièce authentique, la
requête que devait adresser au Gouvernement celui qui, ayant du
sang huguenot dans les veines, voulait vendre ses immeubles :
« Aujourd’hui, 3 février 1772, le roi étant à Versailles, la
dame X… a représenté à Sa Majesté qu’elle possède à… un domaine de
la valeur de neuf mille livres qu’elle désirerait vendre, mais,
qu’étant issue de parents qui ont professé la religion prétendue
réformée,
elle ne peut faire cette vente sans la permission de
Sa Majesté
. »
Le huguenot qui voulait préparer sa fuite, ne
pouvant désormais ni aliéner ni affermer ses immeubles, même à vil
prix, n’avait plus d’autre moyen de se procurer de l’argent
nécessaire au voyage que de vendre, comme il le pouvait, une partie
de ses effets et objets mobiliers. – Là encore, nouvel
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