Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
clergé, pour
pouvoir prévenir tout projet d’émigration. Dès le lendemain de
l’édit de révocation, Fénelon,
policier émérite
,
conseillait à Seignelai de veiller sur les changements de domicile
des huguenots, lorsqu’ils ne seraient pas fondés sur quelque
nécessité manifeste. En 1699, pour faciliter cette surveillance,
une déclaration interdit aux huguenots de changer de résidence sans
en avoir obtenu
la permission par écrit
; cette
permission fixait l’itinéraire à suivre, et si l’on s’en écartait,
on était bien vite arrêté.
Le plus simple déplacement temporaire était
suspect, et le clergé le signalait. Ainsi, en 1686, Fénelon
recommande à Seignelai de renforcer la garde de la rivière de
Bordeaux ; tous ceux qui veulent s’enfuir allant passer par là
sous prétexte de procès
, et ayant lieu de craindre qu’il
parte un grand nombre de huguenots par les vaisseaux hollandais qui
commencent à venir pour la foire de mars à Bordeaux.
Ce qui était encore plus dangereux, pour les
huguenots voulant s’enfuir, que l’inquisitoriale surveillance du
clergé, c’étaient les faux frères, qui, à l’étranger et en France,
servaient d’espions à l’administration.
L’ambassadeur d’Avaux entretenait en Hollande
de nombreux espions parmi les réfugiés, et, grâce à eux, il pouvait
prévenir le gouvernement des projets d’émigration que tel ou tel
huguenot méditait et dont il avait fait part à ses parents ou à ses
amis émigrés. Tillières, un des meilleurs espions de d’Avaux, le
prévient un jour qu’un riche libraire de Lyon a fait passer cent
mille francs à son frère et se prépare à le rejoindre en
Hollande ; un autre jour, il lui annonce que Mme Millière
vient de vendre une terre 24 000 livres et qu’elle doit
incessamment partir, emportant la moitié de cette somme qu’elle a
reçue comptant ; une autre fois, enfin, il lui donne avis
qu’une troupe de 500 huguenots environ doit partir de Jarnac pour
Royan et s’embarquera sur un vaisseau qui devra se trouver à
quelques lieues de là, au bourg de Saint-Georges.
Les espions n’étaient pas moins nombreux en
France ; moyennant une pension de cent livres qu’il servait à
l’ancien ministre Dumas, Bâville connaissait la plupart des projets
des huguenots du Languedoc ; à Paris de nombreux espions
tenaient le préfet de police au courant de ce qui se passait dans
les familles huguenotes ; en Saintonge, Fénelon se servait,
pour espionner les nouveaux convertis, du ministre Bernon, dont il
tenait
la conversion secrète
, et il conseillait à
Seignelai de donner des pensions secrètes aux chefs huguenots par
lesquels
on saurait bien des choses
, disait-il.
En dehors des espions attitrés, les huguenots
avaient à craindre encore la trahison de leurs prétendus amis ou de
leurs parents, lesquels, par intérêt, ou pour mériter les bonnes
grâces d’un protecteur catholique, n’hésitaient pas parfois à les
dénoncer. Deux jeunes gens de Bergerac confient leurs projets de
fuite à un officier de leurs amis qui avait épousé une protestante
de leur pays, ils lui content qu’ils doivent se déguiser en
officiers, prendre telle route et sortir par tel point de la
frontière. Cet officier, pour se faire bien voir de la Vrillière, à
qui il réclamait la levée du séquestre mis sur les biens des frères
huguenots de sa femme, donne à ce ministre toutes les indications
nécessaires pour faire prendre ses amis trop confiants, et ceux-ci
sont arrêtés au moment de franchir la frontière. Un faux frère
demande à sa parente, madame du Chail, de lui fournir les moyens de
passer à l’étranger ; celle-ci lui fait donner, par un de ses
amis, des lettres de recommandation pour la Hollande, et, par une
demoiselle huguenote, l’argent nécessaire pour faire le voyage. Le
misérable les dénonce tous trois et les fait arrêter.
Dès le mois d’octobre 1685, une ordonnance
avait enjoint aux religionnaires, qui n’étaient pas habitués à
Paris depuis plus d’un an, de retourner au lieu ordinaire de leur
demeure, mais les huguenots n’en continuent pas moins à affluer à
Paris, où, perdus dans la foule, il était moins facile de les
surveiller, si bien qu’en 1702 le préfet de police d’Argenson, à
l’occasion d’une vieille protestante que l’évêque de Blois lui
dénonce comme étant partie depuis plusieurs jours pour y rejoindre
son fils qui y est venu, sans y avoir aucune
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