Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
pouvait voir le jour que par un trou
,
l’eau y
coulait de tous côtés et il n’y avait qu’un peu de paille
pourrie
,
toute remplie de poux…
On nous enferma,
Claude et moi, dans un cachot
si plein d’ordure et de la plus
sale ordure
, qu’elle remplissait presque jusqu’à la porte, et
qu’à peine pûmes-nous y mettre une paillasse pour coucher. Le lieu
était
fort humide et d’une puanteur si insupportable
,
qu’un prisonnier des vallées de la Luzerne y était devenu tout
enflé… Après vingt-trois jours de séjour dans de pareils endroits,
et pendant la rigueur de l’hiver, on eut ordre de la cour de nous
faire conduire dans notre pays et devant nos juges. »
En avril 1686, deux cent quarante émigrants
passent la frontière savoyarde pour se rendre en Suisse, avec
vingt-huit mulets portant les hardes et les petits enfants. Mais
les curés des paroisses auxquelles les fugitifs appartenaient,
avaient prévenu le curé de Saint-Jean de Maurienne, et ces fugitifs
ne furent pas plus tôt sur le territoire de la Savoie, que les
paysans appelés au son du tocsin, accoururent de toutes parts et
les enveloppèrent. Faits prisonniers par ces sujets zélés de
l’allié de Louis XIV, ils furent remis aux autorités françaises, et
les juges envoyèrent les femmes en prison, les hommes aux
galères.
Au mépris du droit des gens, Louis XIV faisait
enlever les réfugiés, hors des frontières de la France, à
l’étranger ; il tenta même de faire enlever en pleine
Hollande, le pasteur Jurieu, dont les pamphlets l’exaspéraient au
plus haut degré.
Élie Benoît constate que les gardes des
frontières allaient enlever les fugitifs descendus dans quelque
auberge à deux ou trois lieues de la frontière, en sorte que, à
proximité de la France, il n’y avait sûreté pour les émigrés que
dans les villes fermées.
Vernicourt, conseiller au Parlement de Metz,
fut pris par la garnison de Hombourg sur le territoire du
Palatinat.
Le banquier Huguetin, établi en Hollande,
avait fait une immense fortune. On attira ce réfugié en France,
sous prétexte de négocier la restitution des biens qu’il avait
laissés dans sa patrie. Pontchartrain l’obligea à souscrire des
lettres de change pour plusieurs millions, mais Huguetin ayant pu
révoquer à temps les ordres qu’on lui avait extorqués, s’empressa
de repasser en Hollande. Poursuivi par les agents du gouvernement
français, il fut enlevé par eux sur le territoire hollandais et,
sans un heureux hasard qui lui permit de se faire reconnaître à la
frontière, il eût fini ses jours dans quelque prison d’État.
Jean Cardel, originaire de Tours, avait fondé
à Manheim une importante manufacture de drap. Accusé faussement
(ainsi que le reconnaît La Reynie, dans une pièce qui se trouve aux
archives de la Préfecture de police) d’une prétendue conspiration
contre la personne du roi, il est enlevé par un détachement de
troupes françaises entre Manheim et Francfort. Enfermé à la
Bastille le 4 août 1690, le malheureux Cardel y reste trente
ans ; son esprit, disent les mémoires sur la Bastille, était
dans une espèce d’égarement qui ne lui laissait que de fort légers
intervalles de raison. Le 3 juin 1715, on le trouva mort dans le
cachot fangeux où il languissait depuis si longtemps ; son
corps était chargé de soixante-trois livres de chaînes de fer.
L’Électeur, le roi Guillaume, les États généraux et l’Empereur
lui-même, avaient réclamé vainement la mise en liberté de Cardel,
que Louis XIV avait fini par faire passer pour mort. – C’est ce
qu’il avait fait pour les trois ministres, réclamés en 1713 en
vertu du traité d’Utrecht. – C’est encore par un mensonge
semblable, qu’il mit fin aux insistantes réclamations faites par la
Porte, au sujet d’Avedick, patriarche de Constantinople, qu’il
avait fait enlever et gardait au fond d’un cachot depuis plusieurs
années. – Ce n’est que plus tard qu’Avedick mourut, et sa fin
arriva si à propos pour tirer Louis XIV d’embarras, qu’on eut
quelque peine à croire qu’elle fût naturelle.
Ces enlèvements de réfugiés à l’étranger
n’étaient pas les seules marques qu’eût données Louis XIV de son
mépris du droit des gens. Quand la France avait été dragonnée, on
avait logé les soldats chez un grand nombre d’étrangers, allemands,
anglais, hollandais, sous prétexte qu’ils étaient alliés à des
familles françaises, et il
Weitere Kostenlose Bücher