Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
Gouvernement, aussi bien sous la régence et
sous Louis XV que sous Louis XIV interdisait aux réfugiés de
revenir
individuellement
en France, soit pour s’y fixer,
soit même pour n’y faire qu’un séjour passager, à moins qu’ils ne
consentissent à abjurer.
Ainsi Bancillon conte qu’un sieur de la Roche
vint à la France en 1713 avec un passeport de l’ambassadeur de
France, d’Aumont, et un autre de la reine d’Angleterre, qui avait
beaucoup de considération pour lui.
M. de la Roche était de Montpellier
et il espérait qu’en allant respirer l’air natal, sa santé se
rétablirait, mais à Paris, on lui montre un ordre qui défend à tout
réfugié de rentrer dans le royaume à moins de faire
abjuration ; il ne pousse pas plus loin que Paris et revient
au plus vite en Angleterre. En 1753 encore, le réfugié Arnaud,
malgré l’appui de la duchesse d’Aiguillon, ne peut obtenir la
permission d’entrer en France pour conduire sa femme malade dans le
Dauphiné. À la mort de Louis XIV, plusieurs réfugiés croient
pouvoir rentrer dans leur patrie, pensant que,
à l’occasion des
changements qui viennent d’arriver
, on ne les contraindra
point à abjurer.
Les commandants de troupes écrivent aux
évêques pour leur dire de réclamer aux curés l’état des fugitifs
qui sont rentrés dans leurs paroisses, afin que les troupes
obligent ceux-ci soit à abjurer, soit à repasser la frontière. Le
régent, apprenant que Henri Duquesne, le fils de l’amiral, est venu
à Paris, le fait prévenir par le lieutenant de police de La Reynie,
d’avoir à sortir immédiatement du royaume, sous peine d’être jeté à
la Bastille. Et pendant tout le règne de Louis XV, on tient la main
à la stricte observation de cette règle : ne permettre aux
réfugiés la rentrée en France qu’au prix d’une abjuration. En 1756,
le réfugié Télégny prie l’intendant Lenain d’intervenir pour qu’il
lui soit permis de revenir, sans subir cette dure condition. Le
secrétaire d’État, Saint-Florentin répond à Lenain : « Je
conviens avec vous qu’il serait plus avantageux à l’État de ne pas
tant perdre de sujets, ou d’en recouvrer davantage,
mais la loi
est faite et subsiste
depuis longtemps dans toute sa rigueur,
et ce serait renverser l’ouvrage de soixante ans que d’y porter la
moindre atteinte. »
En 1763, l’archevêque de Canterbury demande
qu’on laisse entrer en France le réfugié Bel et qu’on lui rende ses
biens qui on été confisqués. Saint-Florentin répond au duc de
Choiseul, qui lui avait transmis cette demande, quelle n’est pas
susceptible de faveur et il motive ainsi son refus :
«
Si M
.
Bel se présentait en qualité de
catholique pour obtenir son retour en France et le rétablissement
dans tous ses droits civils
, il pourrait mériter d’être
écouté, mais les déclarations du roi de 1698 et de 1725,
excluent pour toujours du royaume tout Français réfugié pour
cause de religion
,
à moins qu’il n’ait abjuré
. Il
paraît qu’on ne doit pas non plus y laisser revenir, ni encore
moins rétablir dans ses biens, un homme
qui a été condamné pour
fait de religion
, et qui n’a pas, autant qu’il est en lui, et
par une abjuration indiquée par la loi
, réparé le
crime
qui a fait le texte de sa condamnation. Ce serait
réintégrer dans le royaume un coupable, autorisé, pour ainsi dire,
dans son erreur
, et aussi dangereux pour la religion que
pour l’État. »
Ainsi que nous l’avons dit, au début de
l’émigration, les réfugiés avaient afflué en Suisse, en Hollande,
en Angleterre et dans les états de l’Allemagne, et bien qu’ils se
groupassent pour se constituer une sorte de petite France sur le
sol étranger, ils ne s’éloignaient pas, afin de pouvoir saisir la
première occasion de revenir dans leur patrie.
Ce ne fut qu’après avoir perdu l’espoir de
rentrer en France que les réfugiés se dispersèrent sur tous les
points du globe, devenant une sorte de rosée féconde et
civilisatrice pour le monde entier. On trouve un assez grand nombre
de réfugiés en Danemarck, à Copenhague, à Altona, à Frédéricia et à
Gluckstadt, il y en a en Russie, à Saint-Pétersbourg et à
Moscou ; quelques uns même allèrent s’établir sur les bords du
Volga. En Suède, l’intolérance luthérienne réduisit l’émigration à
fort peu de chose. Beaucoup de réfugiés s’établirent dans les
provinces de l’Amérique anglaise ; la
Weitere Kostenlose Bücher