Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
ruinés. »
Une relation de 1669, qui se trouve aux
manuscrits de l’arsenal dit : « Plusieurs femmes et
enfants ont été trouvés morts sur les chemins et dans les blés,
la bouche pleine d’herbes
, dans le Blaisuis, ils sont
réduits à pâturer
l’herbe et les racines
tout ainsi que
des bêtes, ils dévorent les charognes, et, si Dieu n’a pitié d’eux,
ils se mangeront les uns les autres. »
Au mois de mai 1673, Les diguières écrit à
Colbert : « La plus grande partie de la province (le
Dauphiné)
n’ont vécu pendant l’hiver
,
que de
pain
,
de glands et de racines
,
et présentement on
les voit manger l’herbe des prés et l’écorce des
arbres
».
Une relation adressée à l’évêque d’Angers,
1680 à 1686, porte : « Nous entrons dans des maisons qui
ressemblent plutôt à des étables qu’à des demeures d’hommes. On
trouve des mères sèches qui ont des enfants à la mamelle et n’ont
pas un double pour leur acheter du lait. Quelques habitants ne
mangent
que du pain de fougères
, d’autres sont trois ou
quatre jours sans en manger un morceau. »
En 1693 et 1694, la guerre, la disette et la
peste font de la France un désert. Les villes se dépeuplent, les
villages deviennent des hameaux, les hameaux disparaissent jusqu’au
dernier homme. En 1709, on fait avec de l’orge un pain grossier qui
prend le nom de
pain de disette
. D’autres réduisent en
farine et pétrissent en pain la racine d’arum, le chiendent,
l’asphodèle. Le plus grand nombre dans les campagnes, après qu’on
eut vendu pour payer l’impôt le peu qu’on avait récolté, durent
brouter l’herbe
que les animaux, dévorés depuis longtemps,
ne pouvaient plus leur disputer.
Ces quelques citations montrent qu’on ne peut
accuser La Bruyère d’exagération quand il fait cette peinture des
paysans de l’ancien régime : « On voit certains animaux
farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne,
noirs ; livides et tout brûlés par le soleil, attachés à la
terre, qu’ils fouillent avec une opiniâtreté invincible ; ils
ont comme une voix articulée, et, quand ils se lèvent sur leurs
pieds, ils montrent une face humaine, et en effet ce sont des
hommes, ils se retirent la nuit dans des tanières, où ils vivent de
pain, d’eau et de racines. »
L’erreur des réfugiés, c’était de pas
comprendre qu’il n’y avait pas d’autre moyen de rétablir de haute
lutte le culte protestant en France, que de venir eux-mêmes,
sous leur propre drapeau
, et non sous le drapeau des
ennemis de la France, opérer ce rétablissement, comme le firent les
Vaudois rentrant dans leur pays.
Tout au contraire ; ils supposaient que
les huguenots ou nouveaux convertis restés en France, étaient prêts
à seconder toutes les attaques dirigées contre leurs persécuteurs
par des armées étrangères dans lesquelles se trouvaient quelques
régiments d’émigrés français
dénationalisés
.
En 1696, une flotte anglaise s’approchant des
côtes du Poitou était venue bombarder les Sables, le gouvernement
craignait qu’une descente des Anglais fût combinée avec un
soulèvement des huguenots, ceux-ci ne bougèrent pas. En 1703,
l’armée du duc de Savoie entre dans le Dauphiné, et cette armée
comptait plusieurs régiments de réfugiés, les huguenots de la
province ne se joignent pas aux envahisseurs de leur patrie.
Dix-huit ans plus tard, un intendant, pour
montrer que les huguenots du Dauphiné ne sont pas disposés à faire
de mouvements, ainsi qu’on le prétend, rappelle qu’ils sont restés
tranquilles dans deux circonstances critiques : la guerre des
Cévennes et l’invasion de la province par le duc de Savoie. En
1719, on fait craindre au régent que les huguenots du Midi ne
veuillent s’associer aux projets formés contre lui par Albéroni.
L’ambassadeur de France en Hollande prie le pasteur Basnage
d’intervenir, et celui-ci écrit aux prédicants de France que leur
devoir est de rendre à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui
est à César. Court, le restaurateur des églises en France, affirme
que le bruit d’un soulèvement des huguenots est une invention des
catholiques.
Le régent envoie dans le Languedoc
M. de la Bouchetière, un émigré du Poitou, et celui-ci,
après avoir sondé ses coreligionnaires, peut rassurer complètement
le duc d’Orléans. En 1720 encore, une lettre du prédicant Cortés
fait renoncer le gouvernement aux inutiles
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