Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
le sein de la nature. Par Jurieu
Saurin, ils préparaient Rousseau. Denis Papin porte à l’Angleterre,
le secret qui, plus tard, donnera à quinze millions d’hommes les
bras de cinq cents millions, donc la richesse et
Waterloo : »
L’Angleterre, la Hollande, la Suisse, la
Prusse et les autres États de l’Allemagne, avaient hérité de nos
manufacturiers les plus riches et les plus intelligents et de leurs
ouvriers les plus habiles, qui avaient apporté à leurs nouvelles
patries leur savoir faire, leur secrets industriels et les moyens
de les mettre en œuvre. Grâce aux réfugiés, les divers États de
l’Europe cessèrent d’être tributaires de la France pour une foule
d’industries, la soierie, la draperie, la chapellerie, la ganterie,
les toiles, le papier, l’horlogerie, etc. ; aujourd’hui (en
1886) toutes ces industries ont fait de tels progrès dans les pays
où les ont importées les émigrants français, qu’elles font une
redoutable concurrence aux produits similaires de notre pays.
On n’estime pas moins de trois ou quatre cent
mille le nombre des émigrants qui s’établirent à l’étranger, et,
l’on calcule que la persécution religieuse a fait, en outre, cent
mille victimes qui trouvèrent la mort, dans les massacres des
assemblées, dans les luttes des Cévennes, sur la route de l’exil,
au fond des cachots, sur les bancs des galères, sur la potence, sur
la route et sur le bûcher.
La perte qu’a subie la France ne peut
s’évaluer d’après le nombre des émigrés et des victimes, car on ne
peut évaluer par têtes une perte d’hommes, comme on ferait pour du
bétail, l’instruction et l’intelligence établissant entre les
hommes une grande différence au point de vue de la valeur sociale.
Or, les protestants formaient la meilleure partie de cette classe
moyenne, industrieuse et éclairée qui a fait la grandeur et la
prospérité des nations modernes.
« Les protestants, dit Henri Martin,
étaient fort supérieurs, en moyenne, sinon à la bourgeoisie
catholique de Paris et des principaux centres de la civilisation
française, du moins à la masse du peuple, et les émigrants étaient
l’élite des protestants
. Une multitude d’hommes utiles,
parmi lesquels beaucoup d’esprits supérieurs, laissèrent en France
des vides effrayants, et allèrent grossir les forces des nations
protestantes ;
la France baissa de ce qu’elle perdit et de
ce que gagnèrent ses rivales.
« Elle s’appauvrit, non pas seulement des
Français qui s’exilent, mais de ceux bien plus nombreux, qui
restent malgré eux, découragés, minés, sans ardeur au travail ni
sécurité de la vie ; c’est réellement l’activité de plus d’un
million d’hommes que perd la France, et du million qui produisait
le plus. »
Quant à Quinet, il montre ainsi le grand vide
que fit dans l’esprit de la nation française, la proscription des
protestants :
« Ce fut, dit-il, un immense dommage,
pour la révolution française d’avoir été privée du peuple proscrit
à la Saint-Barthélemy et à la révocation de l’édit de Nantes…
« Quand vous voyez dans l’esprit français
les si grands vides, qu’il serait désormais puéril de nier,
n’oubliez pas que la France s’est arrachée à elle-même le cœur et
les entrailles par l’expulsion ou l’étouffement de près de deux
millions de ses meilleurs citoyens. Qu’y a-t-il de plus sérieux et
de plus persévérant que le calvinisme, le jansénisme de Port
royal ? La violence nous a diminués, mais c’est notre honneur
qu’il a fallu la proscription de cinq cent mille des nôtres,
l’extirpation d’une partie de la nation, pour nous réduire a la
frivolité dont on nous accuse aujourd’hui… Il y avait chez nous, un
juste équilibre de gravité et de légèreté, de fond et de formes, de
réalité et d’apparences. Est-ce notre faute, si la violence Barbare
nous a ôté le lest ? … Que n’eût pas été la France si, avec
l’éclat de son génie, elle se fût maintenue, entière, je veux dire,
si, à cette splendeur, elle eût joint la force de caractère, la
vigueur d’âme, l’indomptable ténacité de cette partie de la nation
qui avait été retrempée par la réforme. »
Le mal que l’émigration avait fait à la
France, Louis XIV eût pu le réparer en partie, s’il se fût résigné
à rappeler les huguenots et à tolérer en France l’exercice du culte
protestant ; mais il se refusa obstinément à
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