Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
jeter dans le Rhône. »
Un octogénaire, le comte de Nouvion, ancien
lieutenant colonel, ayant rétracté par écrit son abjuration, était
gravement malade. On lui envoie le
bourreau
qui lui
déclare avoir ordre de le traîner sur la claie
dès qu’il aura
rendu le dernier soupir
. Nouvion répond qu’il
n’est pas
besoin d’attendre qu’il soit mort
, qu’il est tout prêt.
Quelques heures après on enlevait Nouvion pour le jeter dans un
couvent où l’on fit en vain mille efforts pour vaincre sa
constance. Dès qu’il fut mort, les moines jetèrent son corps dans
un chenil où, par ordre de la justice, une charrette vint le
prendre pour le mener à la ville de Laon où l’on allait faire le
procès à sa mémoire. « On vit alors, dit Jurieu, un spectacle
affreux. La tête de ce pauvre corps pendait entre deux roulons de
la charrette, toute sanglante. Toutes les plaies qu’il avait
autrefois reçues se rouvrirent toutes à la fois et devinrent
autant de bouches qui vomissaient le sang et demandaient
vengeance de ce que de si longs services étaient ainsi
récompensés
. »
À Dijon, une femme fut mise sur la claie avant
d’avoir rendu
le dernier soupir et traînée encore demi
vive
.
Le cadavre de Mlle de Montalembert,
d’une des plus nobles familles d’Angoulême, fut traîné nu sur la
claie.
« À Montpellier, dit Jurieu, on a vu le
corps d’une vénérable femme, épouse de M. Samuel Carquet,
médecin, exposé tout nu le long des rues, soufflant le pavé
de
son sang et de ses entrailles répandues
. Et quand elle eût été
laissée à la voirie, deux dragons arrivèrent qui firent passer et
repasser cent fois leurs chevaux sur ce pauvre corps. »
À Rouen, les corps de Pierre Hébert et de la
femme Vivien, furent mis en pièces par la populace et leurs
misérables restes, pendant plusieurs jours, servirent de jouets aux
écoliers des jésuites. Le cadavre de Pierre le Vasseur fut
écorché
, celui d’Anne Magnan
donné à manger aux
chiens
; d’autres abandonnés, dans la campagne aux bêtes
fauves après avoir été traînés pendant plusieurs lieues.
À Dieppe, le gardien de la prison chargé de la
garde du corps d’une relapse, agit, dit Élie Benoît, comme un
montreur d’éléphants, de lions ou d’autres choses peu ordinaires.
Il invita le monde à venir, moyennant finance,
voir le corps
d’une damnée ;
sept ou huit cents curieux se rendirent à
son appel et cette indigne exhibition valut quelque profit à cet
ingénieux geôlier.
Il fallait souvent conserver assez longtemps
les corps de ceux à la mémoire desquels on faisait le procès, et
parfois, pour éviter la putréfaction, les juges ordonnaient que le
corps fût provisoirement inhumé. À Caen, un arrêt ordonna de
saler
, comme un porc, le corps d’un huguenot jusqu’à ce
que les juges eussent statué sur le procès fait à sa mémoire.
Mais on ne prenait pas toujours les
précautions conservatrices nécessaires ; ainsi, six ou sept
mois après la mort de l’orfèvre l’Alouel, ce ne fut pas le corps de
ce malheureux, mais les débris de son cadavre qui furent traînés
sur la claie à Saint-Lô. Parfois, dit Élie Benoît, on traînait par
les rues des corps qui tombaient en pièces et dont la cervelle ou
les entrailles demeuraient sur le pavé.
Quand on traîna sur la claie, à Metz, les
restes de M. de Chenevières, conseiller au parlement,
mort à quatre-vingts ans, entouré de l’estime de tous, le peuple,
dit Olry, fit entendre des cris lamentables en voyant ce pauvre
corps exposé tout nu sur la claie, avec les entrailles séparées du
corps et mises dans un petit cercueil placé auprès de lui.
Ces révoltantes exécutions indignaient les
catholiques eux-mêmes et inspiraient aux nouveaux convertis
l’horreur d’une religion, qui provoquait de tels outrages aux
morts.
Dès 1687, le secrétaire d’État écrivait aux
intendants : « La loi sur les relaps n’a pas eu tout le
succès qu’on en espérait. Sa Majesté trouve à propos que vous
fassiez entendre aux ecclésiastiques qu’il ne faut pas que, dans
ces occasions, ils appellent si facilement les juges pour être
témoins, afin de
ne pas être obligé de faire exécuter la
déclaration dans toute son étendue
. »
Le gouvernement voulait se réserver la faculté
de faire le procès à la mémoire des relaps, pour pouvoir confisquer
les biens de ceux-ci, sans être obligé de faire traîner leur corps
sûr la claie, ce
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