Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
qui révoltait l’opinion publique. C’est ainsi
qu’en 1699 encore, le secrétaire d’État donne ces instructions à un
intendant. Sa Majesté m’a ordonné de vous écrire de dire aux juges
ordinaires de faire le procès à sa mémoire (une femme
relapse) ; que si son cadavre avait été conservé et qu’il fût
condamné à être traîné sur la claie, vous direz aux juges de ne
point exécuter,
à cet égard seulement
, le jugement.
Mais trop souvent, le zèle immodéré du clergé
donnait à la rechute de nouveaux convertis trop d’éclat pour que le
gouvernement crût pouvoir se dispenser d’appliquer dans toute sa
rigueur, la loi sur les relaps. On vit donc longtemps encore, du
moins en province, le déplorable spectacle de cadavres traînés sur
la claie et jetés à la voirie.
On tenta même de les traîner à Paris et Rapin
Thoiras écrit en 1693 : « M. de la Bastide me
marque qu’un nouveau converti étant mort à Paris, sans avoir voulu
confesser ni communier,
on l’avait mis sur une claie pour le
traîner
, mais qu’à ce spectacle inhumain, le peuple se mutina
et l’enlevèrent et furent l’enterrer dans un cimetière, disant
qu’il était indigne d’un grand roi de souffrir qu’on usât de telles
barbaries contre ses sujets et que, sans doute, c’était ce qui
attirait la colère de Dieu sur eux. »
Au mois d’août 1700, le préfet de police
d’Argenson, pour se dispenser d’exécuter l’ordre que lui donnait le
secrétaire d’État de faire
dans toute sa rigueur
le procès
à la mémoire d’une prétendue relapse, était encore obligé de faire
valoir les considérations suivantes : « Je craindrais que
cet exemple de sévérité mal placée, ne fit un éclat fâcheux sur le
public, vous savez combien les procès de cette gravité
révoltent
les nouveaux convertis encore chancelants, et
s’ils font ce
mauvais effet
dans les provinces, ils
porteront un bien plus
grand coup
dans la capitale du
royaume, où l’on a sujet de croire que rien ne se fait, en matière
de cette importance, si le roi ne l’a ordonné à ses magistrats, par
un ordre exprès et précis. »
Ce ne furent ni le clergé, ni le gouvernement
qui eurent le mérite du renoncement à cette barbare pratique de
traîner les corps sur la claie ; il fallut que l’opinion
publique leur forçât la main en cette occasion, comme elle l’avait
fait pour l’odieux usage de mener les patients au supplice avec un
bâillon sur la bouche.
Peu à peu l’application de la loi prescrivant
la visite obligatoire des malades par le curé, cessa même d’être
faite exactement. Enfin en 1736, une déclaration, donnant une
sanction tacite à la suppression de l’obligation de la visite du
curé, décida que ceux auxquels la sépulture ecclésiastique serait
refusée, juifs, mahométans, protestants ou comédiens, seraient
inhumés en vertu d’une ordonnance du juge, indiquant l’endroit où
devait avoir lieu l’inhumation.
Pour les huguenots qui mouraient à Paris, le
refus de sépulture ecclésiastique était
présumé
, et, quand
les parents ou les amis du défunt requéraient le commissaire du
quartier de leur donner un permis d’inhumation, celui-ci ordonnait
invariablement que le cadavre fût enterré,
secrètement
,
sans éclat ni scandale
, dans le grand chantier du port au
plâtre, aujourd’hui port de la Râpée.
En province, on était tenu à plus de
précautions et l’on se gardait de déclarer que le défunt
appartenait à la religion protestante, et avait
volontairement
négligé d’appeler un prêtre à son lit de
mort, dans la crainte de voir faire le procès à sa mémoire.
Ainsi, par exemple, les enfants Marchegay en
1745, ayant perdu leur mère, morte en Vendée, ont soin de faire
constater par un notaire que, peu de jours avant sa mort, la
défunte était
sur pied et en bonne santé
. Puis, pour
obtenir l’autorisation de l’inhumer dans leurs terres, ils
déclarent que le curé a refusé de laisser inhumer la défunte dans
le cimetière,
sans qu’ils sachent pour quelles raisons
, ce
qui les met dans l’obligation d’avoir recours à la justice.
L’opinion publique avait obligé le
gouvernement et le clergé à renoncer à la barbare mesure de traîner
sur la claie le cadavre des relaps, c’est encore elle qui les
contraignit de laisser tomber en désuétude les édits qui imposaient
aux malades la visite obligatoire du curé.
La persécution la plus cruelle que
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