Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789

Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789

Titel: Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles Alfred (de) Janzé
Vom Netzwerk:
après, deux
autres y sont morts depuis. »
    On comprend que, dans de telles conditions, le
nombre des prisonniers ne pût
se soutenir
, les uns
mouraient, les autres se tuaient désespérés, beaucoup perdaient la
raison.
    Des quatre ministres, enfermés aux îles
Sainte-Marguerite et recommandés à Saint-Mars par cette instruction
spéciale « qu’ils soient soigneusement gardés, sans avoir
communication avec qui que ce soit, de vive voix ou par écrit, sous
quelque prétexte que ce soit », trois étaient fous au mois de
novembre 1693.
    Avec l’inaction absolue à laquelle étaient
condamnés le corps et la pensée dans ces sépulcres voués au silence
et à l’obscurité, la folie finissait par s’emparer du malheureux
mort-vivant enfermé dans un tombeau anticipé. On conte qu’un
prisonnier, ayant trouvé une épingle, ne cessa plus de la perdre en
la jetant dans l’ombre de son cachot, puis de la rechercher pour la
reperdre encore et que cette occupation machinale le sauva de la
folie, dont il avait ressenti les premières atteintes.
    Quand il s’agissait de
huguenots
, on
n’était jamais disposé à faire pour les prisonniers quelque chose
qui pût les empêcher de perdre la raison. Ainsi deux ministres
emprisonnés, l’un sain d’esprit, l’autre fou, demandent des plumes
et de l’encre pour faire des remarques sur l’histoire sainte. – Le
secrétaire d’État oppose un refus à la demande du ministre
sain
d’esprit
, et permet de donner une seule fois des plumes et de
l’encre à celui qui est
fou
, à condition d’envoyer ce
qu’il aura écrit. On fait observer à un secrétaire d’État, que la
prison affaiblit l’esprit d’une huguenote, détenue comme opiniâtre,
il répond :
l’y laisser !
    Une fois entré dans les cachots des Bastilles
du grand roi, l’on n’en sortait pas souvent, et pendant vingt ou
trente ans, les prisonniers rayés du monde des vivants, souffraient
mille morts sans que personne sût s’ils vivaient encore ou s’ils
avaient passé de vie à trépas. Deux de ces morts-vivants, les
pasteurs Cardel et Maizac, enfermés avec cette
recommandation : « Sa Majesté ne veut pas que l’homme qui
vous sera remis soit connu de qui que ce soit », sont réclamés
en 1713 par les puissances protestantes, Louis XIV répond qu’ils
sont morts, et il est établi que Cardel vécut jusqu’en 1715, et que
Malzac ne mourut qu’en 1725.
    Que fallait-il faire pour venir dans cet enfer
des prisons, d’où l’on n’était jamais assuré de sortir une fois
qu’on y était entré ? Il suffisait, pour n’importe qui,
catholique ou protestant, d’avoir provoqué la haine ou l’envie chez
quelqu’un de ceux qui, disposant de lettres de cachet en blanc,
pouvaient faire disparaître sans esclandre ceux qui leur
déplaisaient ou leur portaient ombrage. Il suffisait même qu’un
agent de police trop zélé vous eût fait emprisonner
sans
motif
pour que, si personne ne vous réclamait, vous restiez à
tout jamais enseveli dans ces oubliettes du grand roi.
    Ainsi, Saint-Simon raconte que lorsque, à la
mort de Louis XIV, le régent fit ouvrir les prisons, on trouva dans
les cachots de la Bastille un prisonnier enfermé depuis
trente-cinq ans
dans cette prison d’État. Ce malheureux ne
put dire pourquoi il avait été arrêté, on consulta les registres et
l’on remarqua
qu’il n’avait jamais été interrogé
. C’était
un Italien, arrêté le jour même de son arrivée à Paris, sans qu’il
sût pour quelle raison, et ne connaissant personne en France. On
voulut le mettre en liberté. Il refusa, en disant qu’il ignorait
depuis trente-cinq ans ce qu’avaient pu devenir en Italie, tous les
siens, pour lesquels sa réapparition serait une gêne et peut-être
un malheur. Il obtint
la faveur
de rester à la Bastille,
où il avait passé au cachot toute une existence d’homme, avec
permission d’y prendre toute la liberté possible en un tel
séjour.
    C’est la Bastille qui, pour le peuple,
personnifiait ce régime du bon plaisir permettant au roi, aux
ministres, aux seigneurs de la cour et parfois à un agent
subalterne, de supprimer un citoyen, de l’arracher à sa famille, de
faire de lui un être innommé qui, jusqu’au jour de sa mort, n’était
plus désigné que sous le numéro du cachot dans lequel il était
enfermé. C’est parce que la Bastille était pour le peuple le
symbole de ce terrible régime de l’arbitraire, que la chute de
cette

Weitere Kostenlose Bücher