Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
prisonniers. Il fallait donc que ceux qui
nous faisaient ainsi part de leur nécessaire, l’attachassent avec
du fil au bout d’un roseau, et le fissent passer sous ces quatre
portes. Cependant le roseau était court, et, sans le prisonnier
qui, par une providence particulière, se trouva heureusement au
milieu, pour prendre le pain et pour nous le donner, nous serions
peut-être
morts de faim
dans cette prison… Quand nous
voulions faire acheter quelques provisions, il fallait donner
l’argent par avance et payer les choses doublement, encore
étions-nous fort mal servis. Une fois on nous apportait de la
viande, et on oubliait le bois qu’il fallait pour la faire
cuire ; une autre fois on apportait le bois et on laissait la
viande. Il manquait toujours quelque chose ;
ce qui nous
faisait le plus souffrir c’était la soif
,
on fut une fois
deux jours sans nous donner une goutte d’eau
. »
Six prisonniers enfermés depuis vingt-deux ans
comme
opiniâtres
au château de Saumur, écrivent en 1713 à
l’évêque de Bristol, ministre plénipotentiaire de la reine
d’Angleterre : « M. Desy, le lieutenant du roi,
mettra tout en œuvre pour nous retenir toute notre vie, à
cause
du profit qu’il tire sur notre nourriture
, qui lui est payée
vingt sous par jour, desquels il retient une partie et donne
l’autre au cantinier qui nous nourrit fort mal. »
Un de ceux qui eurent à souffrir le plus
cruellement de la cupidité de ses geôliers fut Louis de Marolles,
ancien conseiller du roi, un des hommes les plus instruits et les
plus capables du XVII e siècle, que l’on avait enterré
tout vivant dans un des plus affreux cachots de Marseille. Il n’eut
pas seulement à souffrir de l’isolement, des ténèbres et du
froid ; son geôlier, l’exploitant de la manière la plus
indigne, le laissa sans vêtements et souvent sans nourriture. Son
corps s’exténua, sa tête s’exalta ; souffrant du froid et de
la faim, en proie à de cruelles hallucinations, si bien qu’un jour
il se brisa la tête en tombant contre un des murs de son cachot.
Après deux mois de cruelles souffrances pendant lesquels, dit un de
ses correspondants, il ne songeait plus
qu’à déloger
,
Louis de Marolles mourut le 17 juin 1692.
Voici quelques extraits des rares lettres que
ce
mort vivant
put écrire, dans son sépulcre, à la clarté
d’une petite chandelle d’un liard, soit à un forçat pour la foi,
soit à sa femme que, par anticipation, il appelait ma chère et
bien-aimée veuve.
« Mon petit sanctuaire a douze de mes
pieds de longueur et dix de largeur ; le plus grand jour qu’il
ait, vient par la cheminée, la clarté n’y entre qu’autant qu’il
faut pour ne pas heurter le jour contre les murailles. Quand j’y
eus été trois semaines, je me trouvai attaqué de tant
d’incommodités que je ne croyais pas y vivre quatre mois, et le
douzième de février prochain, il y aura cinq ans que Dieu m’y
conserve.
« Environ le 15 octobre de la première
année, Dieu m’affligea d’une fluxion douloureuse qui me tomba sur
l’emboîture du bras droit avec l’épaule. Je ne pus plus me
déshabiller, je passais les nuits, tantôt sur le lit, tantôt me
promenant dans mes ténèbres ordinaires. La solitude et les ténèbres
perpétuelles dans lesquelles je passais mes jours se présentèrent à
mon esprit sous une si affreuse idée, qu’elles y firent de très
funestes impressions. Il se remplit de mille imaginations creuses
et vaines qui l’emportèrent très souvent dans les rêveries qui
duraient quelquefois des heures entières… Dieu voulut que ce mal
durât quelques mois… J’étais plongé dans une profonde affliction,
quand je joignais à ce triste état, le peu de repos que mon corps
prenait,
j’en concluais que c’était là le grand chemin au
délire
et il y a quatre ou cinq mois j’étais encore très
incommodé d’une oppression de poumon qui me faisait presque perdre
la respiration, j’avais aussi des vertiges et je suis tombé à me
casser la tête. Ces tournoiements de tête n’étaient causés, à mon
avis, que
par le défaut de nourriture
… »
Demandant à son correspondant de lui faire
acheter pour quelques sous de fil afin de pouvoir recoudre son
linge, sa culotte et autres hardes, de Marolles dit :
« Il y a plus de six semaines que les
sergents en demandent tous les jours pour moi chez le
major
sans pouvoir en obtenir. Voilà où j’en suis pour
toutes choses avec lui…
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