Les joyaux de la sorcière
mais ce n’est pas très pratique. Et cette perruque ? Mais qu’est-ce qui te prend de mettre une perruque ? Ne me dis pas que tu perds tes cheveux ? Ce serait épouvantable quoique ma femme de chambre possède un excellent traitement…
Le flot de paroles emplissait le salon. En même temps Alice frappée d’un accablement surhumain semblait rétrécir à chaque seconde :
— Maman ! exhala-t-elle enfin. Mais qu’est-ce que vous venez faire ici ?
— Comment ce que je viens faire ?… Superviser l’organisation de notre grand bal d’été comme j’en ai l’habitude !
— Sauf l’année dernière où vous étiez à Monte-Carlo et celle d’avant où vous faisiez je ne sais plus quoi à Istamboul.
— Tu crois ?… C’est possible finalement mais il faut bien que de temps en temps je me souvienne de mes obligations envers cette maison où je suis toujours chez moi…
— Maman ! Cette maison m’appartient à présent.
— Qu’est-ce que tu me chantes ? Que ton frère Vincent en soit propriétaire légal je ne dis pas mais il n’en reste pas moins que j’ai pour elle une foule d’idées charmantes. Allons, les enfants, tenez-vous tranquilles ! ajouta-t-elle à l’adresse de la meute de cinq terriers qui faisait une entrée massive et galopait à travers le salon pour se dégourdir les pattes.
L’un d’eux se passionna pour Morosini. Fasciné par le débit de la dame et le tableau qu’elle offrait, il était resté planté près de la porte et ledit chien essaya de le déloger en s’attaquant au bas de son pantalon. Cette activité attira l’attention de sa maîtresse qui vola au secours d’Aldo.
— Allons, vilain trésor ! Ce monsieur n’est pas venu pour jouer avec toi et…
Comme elle relevait la tête tout en tirant le terrier en arrière, elle eut un large sourire réjoui et clama :
— Mais c’est mon petit prince gondolier ? Quel bon vent vous amène, mon cher ? Justement je pensais à vous il y a peu !
— Lady Ribblesdale, mes hommages ! murmura Aldo accablé par l’arrivée de la renommée et insupportable Ava Astor qui accaparait encore ce nom bien qu’elle fût divorcée, remariée et même veuve. Cette manie qu’elle avait de l’appeler « son petit prince gondolier » lui avait donné depuis le début l’envie de la gifler (19) . Elle n’ignorait rien, pourtant, de son métier : chaque fois qu’elle le voyait, elle le submergeait de ses injonctions de lui procurer un diamant illustre. Cela dit et la soixantaine atteinte, elle conservait une partie non négligeable de cette foudroyante beauté qui en faisait une reine partout où elle passait. Une reine singulièrement mal élevée d’ailleurs car, foncièrement égoïste, et à peu près dépourvue de cœur, elle méprisait la plupart de ses contemporains et ne s’en cachait pas.
— Vous vous connaissez ? émit faiblement Alice.
— Bien sûr nous nous connaissons ! Nous sommes même d’excellents amis quand il daigne faire mes volontés. Ce qui est rare, je l’admets, alors que pour d’autres il accomplit des prodiges.
— Ce n’est donc pas un imposteur ?
Occupée à chasser deux chiens du fauteuil où elle voulait s’asseoir, lady Ribblesdale posa sur sa fille un œil chargé de mépris :
— Où as-tu été chercher une bêtise pareille ? Ce n’est pas parce que tu as épousé un prince de pacotille qu’il faut t’imaginer qu’il n’y en a pas d’autre. Celui-là est vrai et c’est le plus grand expert en diamants historiques. Il paraît que son palais à Venise est une merveille. À ce propos, ajouta-t-elle en se tournant vers Aldo, j’ai l’intention de m’inviter chez vous l’automne prochain…
— Un instant, mère ! coupa Alice. Si vous êtes quasi intime avec lui vous connaissez peut-être aussi l’un de ses amis ? Un soi-disant égyptologue…
— L’homme au nom imprononçable ? Alice ma fille serais-tu devenue complètement idiote ? Je sais depuis longtemps que le sang des Astor ne vaut rien et que seul le mien, celui des Lowle Willing, fait de toi et de ton frère des gens à peu près supportables mais à présent je m’interroge : aurais-tu contracté la manie de la persécution ? Tu vois des imposteurs partout ? Au fait, il va bien ce… ce…
— Adalbert Vidal-Pellicorne, lady Ava ! Il est en prison. La princesse Obolensky…
— Obolensky ! Pouah !
— … l’accuse de lui avoir volé ce
Weitere Kostenlose Bücher