Les joyaux de la sorcière
c’était très beau de vouloir jouer les justiciers mais cela ressemblait à de l’inconscience : aller combattre sur son propre terrain un homme disposant de tous les atouts alors que lui-même ne sachant à peu près rien du pays se trouverait sans appui et sans la moindre aide possible. Il ne pourrait que s’y casser les dents. Voire autre chose. Or il était marié, père de deux enfants, bientôt d’un troisième, il avait ce qu’il fallait pour être heureux et il osait songer à risquer ce bonheur pour aller jouer les Don Quichotte chez les Yankees. En outre, il ne pouvait plus compter sur Adalbert. Ce serait suicidaire… Il était urgent d’oublier cette affaire !
Mais le lendemain, sur le quai du port de Newhaven, en regardant le cercueil plombé de Jacqueline embarquer au moyen d’une grue dans les entrailles du bateau assurant la liaison avec Dieppe, il savait qu’oublier serait au-dessus de ses forces. Debout auprès de Warren qui l’avait conduit jusque-là, les mains au fond des poches de son vieux Burberry’s, une casquette en tweed enfoncée jusqu’aux sourcils pour le protéger de la pluie fine et insistante qui noyait le pays depuis la nuit précédente, il suivait des yeux l’ascension du coffre funèbre contenant les restes d’une jeune femme innocente avec une amertume où se mêlait une sorte de rage. À ses côtés, Warren, emballé dans l’antique macfarlane dont les ailes lui donnaient l’air d’un oiseau préhistorique, fumait tranquillement une courte pipe sans rien dire.
Ce fut seulement quand la longue boîte eut disparu dans la cale qu’il tira de sa poche une enveloppe blanche et la tendit à Aldo :
— Tenez ! Ça pourrait vous être utile.
Celui-ci tourna vers lui un œil interrogateur :
— Qu’est-ce que c’est ?
— Ma carte… avec quelques mots dessus. Au cas où vous seriez tenté par un voyage outre-Atlantique, je ne saurais trop vous conseiller d’aller voir, à New York, un vieil ami : le chef de la police métropolitaine Phil Anderson. Il est très intelligent, très compétent, très discret et de très bon conseil. En outre il a une dent longue comme une défense d’éléphant pour ce qui touche à la Mafia et votre Ricci pourrait lui appartenir.
— Qu’est-ce qui vous fait supposer que je vais aller là-bas ? émit Aldo en empochant tout de même le message.
— Oh rien finalement ! C’est une idée qui m’est venue comme ça. Remarquez, vous n’êtes pas obligé d’en tenir compte… À présent, il est temps pour vous d’embarquer, ajouta-t-il en consultant sa montre. Offrez mes hommages à la princesse. Il se peut qu’un jour j’aille vous rendre visite.
— Ce serait la meilleure des nouvelles ! La maison est grande ouverte pour vous !
Les deux hommes se serrèrent la main et Aldo se dirigea vers la passerelle mais, au bout de trois pas, il se retourna :
— S’il vous plaît, essayez d’empêcher Vidal-Pellicorne de faire de trop grosses bêtises ! Il est en train de se prendre pour Marc-Antoine et sa Cléopâtre américaine aurait tendance à m’inquiéter !
Warren ôta sa pipe de sa bouche et grimaça ce qui pouvait passer pour un sourire :
— Moi aussi, figurez-vous ! Bon voyage !
Deux jours plus tard Aldo était de retour à Paris. Jacqueline Auger reposait désormais pour l’éternité dans sa terre natale et grâce aux dispositions prises par Scotland Yard, il n’avait eu qu’à se louer de l’organisation. La police et un fourgon des pompes funèbres l’attendaient à la descente du bateau et le contrôle douanier s’était montré discret. Après un court service à l’église, le corps avait été inhumé sous une couronne de fleurs fraîches (Warren avait même pensé à ce détail) et dans la tombe où reposaient déjà ses parents. Il ne restait plus à Aldo qu’à régler la facture et à espérer qu’il se trouverait quelqu’un pour venir prier devant la dalle où il ordonna que fussent gravés les noms et dates de la jeune femme. Aussi, en reprenant le train pour Paris se sentait-il la conscience en paix. À défaut de tranquillité d’esprit car il ne pouvait se faire à l’idée que Ricci pût continuer à jouir de la chaleur du soleil après en avoir privé à jamais une créature de Dieu qui avait cru trouver en lui une espèce de Père Noël sous lequel se cachait un impitoyable assassin. Pour lui, en effet, la culpabilité de l’Américano-Sicilien ne faisait
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