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Les joyaux de la sorcière

Les joyaux de la sorcière

Titel: Les joyaux de la sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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d’hommes occupaient les tables nappées de blanc – la maison était fort bien tenue ! – et discutaient ferme en buvant du thé, du café, de la limonade ou une sorte de bière tellement légère qu’elle ne devait pas titrer plus de deux degrés en attendant de déguster les petits homards ou les poissons de la baie en train de cuire dans une rôtissoire à charbon placée derrière le bar en compagnie de marmitées de clams qui étaient la spécialité du lieu. Des serveuses en bonnets tuyautés et tabliers blancs sur d’amples jupes rouges à la mode d’autrefois, voltigeaient entre les tables avec leurs plateaux. L’une d’elles avisa le nouveau venu et ses bagages qu’un commissionnaire avait transportés depuis le débarquement du ferry. Elle vint s’enquérir de ce qu’il voulait au juste et appela le patron qui officiait au comptoir mais accourut aussitôt.
    La quarantaine, pas très grand mais solide avec un large visage où le sourire creusait mille petites rides dans la peau tannée, l’œil franc et bleu, Ted Mawes accueillit le voyageur étranger avec une jovialité spontanée. Prendre pension dans sa maison lui semblait une idée parfaite à une époque où les visiteurs n’étaient pas encore trop nombreux. Aldo – Monsieur Morosini pour une circonstance où sa qualité lui paraissait plus encombrante qu’autre chose ! – reçut l’assurance d’être mieux nourri que partout ailleurs et de disposer d’une chambre dans une maison voisine – on ne logeait pas à la taverne même – où il jouirait de tout le confort et, en outre, du calme nécessaire à l’artiste qu’il était. Après mûres réflexions, Aldo s’était en effet annoncé comme un écrivain doublé d’un peintre désireux de rassembler le matériel destiné à un livre sur la guerre d’Indépendance et les rôles qu’avaient joué à Newport les troupes du roi de France en général, du marquis de La Fayette et du comte de Rochambeau en particulier. L’idée était bonne parce qu’il se trouvait que cette période de l’histoire des États-Unis était le dada favori de Ted Mawes et Aldo, de son côté, doté d’un ancêtre français ayant participé à l’expédition et instruit par un précepteur tout aussi français pouvait tenir largement sa partie dans une joute oratoire sur le sujet.
    Entre lui et l’aubergiste la glace fut donc vite rompue. Ted aimait discourir et se promettait d’agréables moments avec ce client visiblement fortuné avec lequel il envisagea aussitôt de longues causeries au coin du feu. Même en été et sauf en cas de canicule, il n’était pas rare d’en allumer le soir, le climat du nord-est océanique rafraîchi par le courant du Labrador étant sujet à des fluctuations rapides avec alternance de soleil et de pluie et des différences de plusieurs degrés. Le soir même Ted vint, avec le plateau du café garni de deux tasses et sa pipe, s’asseoir à la table de ce client de choix, versa le noir liquide – qui sentait bon, ma foi ! – et cala ses pieds sur la pierre de l’âtre voisin :
    — À cette heure-ci je suis un peu plus tranquille : on va pouvoir causer. Par où voulez-vous commencer ?
    — Ma foi je ne sais pas trop. Reste-t-il ici beaucoup de vestiges de la Révolution (18)  ?
    — Pas mal, à commencer par cette maison qui lui est bien antérieure mais il y en a d’autres et presque la totalité du centre-ville est d’époque depuis la vieille synagogue – la plus ancienne des États-Unis – jusqu’à Trinity Church en passant par la maison des Quakers, le petit musée, Hunter House, le Brick Market et surtout Old Colony House que je vénère : c’est là que le grand Washington, votre Rochambeau et le chevalier de Ternay son chef d’escadre se sont rencontrés en 1781. Par la suite elle est devenue le centre du gouvernement. Les milliardaires new-yorkais se sont contentés de s’installer vers le sud de l’île pour y construire toute leur marbrerie et ils ont laissé le cœur de la ville tranquille.
    Le ton était acerbe. Aldo glissa négligemment :
    — On dirait que vous ne les aimez pas beaucoup ?
    — À l’exception de quelques-uns, non. Ils nous considèrent en bloc comme des fournisseurs, à peine plus que des pêcheurs. Ils vivent entre eux et nous ignorent. Pourquoi voulez-vous que nous les aimions ? On voit que vous ne les connaissez pas…
    — Si, un peu. Avant la guerre, un ami m’avait emmené aux Breakers.
    Ted

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